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avait attiré les yeux de l’Europe. Les Tartares, émerveillés de sa valeur, l’avaient surnommé le roi de fer ; il était le roi d’or pour tous ceux qui visitaient Prague et qui admiraient la splendeur de sa cour. Ajoutez à ces brillantes conquêtes les plus sérieuses réformes intérieures : c’est le moment où la bourgeoisie se constitue et devient, avec l’appui du souverain, une des forces morales de la nation. Ottocar aimait passionnément son pays. Quand s’ouvrit le long interrègne de l’empire, il refusa la couronne que lui offrait l’archevêque de Mayence ; n’avait-il pas assez de graves affaires à régler dans son héritage agrandi ? La race slave ne se sentait pas encore en mesure d’aspirer au gouvernement de l’Allemagne ; il lui suffisait d’assurer ses conquêtes. Le tableau de ce grand règne a vraiment sous la plume de l’auteur une sorte de majesté épique. Et quel dramatique intérêt quand toute cette puissance s’écroule ! Après ces vingt-deux ans d’anarchie qu’on appelle le grand interrègne, l’Allemagne s’était enfin donné un chef ; Rodolphe de Habsbourg venait de s’asseoir sur le trône de Frédéric Barberousse, et sa première pensée fut d’arracher à Ottocar toutes ses conquêtes allemandes. La lutte fut longue et sanglante. Vaincu, dépouillé, réduit à d’humiliantes concessions, Ottocar tenta une dernière fois la fortune des armes. La Bohême se leva tout entière, à l’exception de quelques traîtres. La bataille eut lieu en Autriche, non loin du Danube, à Jedenspeugen, — une de ces terribles batailles où toutes les passions patriotiques sont en jeu ; les Hongrois, soumis naguère par Ottocar, prenaient leur revanche sous le drapeau des Allemands. Le vieux roi n’eut pas la douleur de rentrer à Prague avec les débris de son héroïque phalange et d’avoir à subir encore les outrages de Rodolphe ; il tomba noblement dans la mêlée.

Ottocar II, dans cette brillante peinture de M. Palacky, ne nous apparaît pas comme un conquérant tour à tour couronné et trahi par la fortune ; il avait le goût des travaux de la paix. Si la Bohême n’a pas joui longtemps du prix de ses victoires, l’influence de ses réformes et de ses institutions a été un bienfait durable. Il avait toutes les vertus d’un souverain du moyen âge ; pieux, dévoué, chevaleresque, il aimait les sciences et les arts. La littérature nationale prit un grand essor sous son règne. La race slave, grâce à ce chef glorieux, ne pouvait plus être dédaignée de ses voisins : par les œuvres de la civilisation comme par l’éclat des armes, elle avait hardiment marqué sa place au sein de l’empire. Dante a bien compris cela quand il nous montre Rodolphe de Habsbourg au purgatoire, assis entre Philippe le Bel et Ottocar. La vue du roi de France attriste l’empereur d’Allemagne, car Rodolphe n’a pas fait, contre Philippe tout ce qu’il aurait dû faire ; mais Ottocar est là pour diminuer ses