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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/387

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remords et réconforter son âme, Ottocar qui lui rappelle la plus importante de ses victoires. Le poète ajoute, à la gloire du vaillant burgrave de Bohème : « Son nom est Ottocar ; il était plus fort, même au berceau, que son fils Wenceslas avec toute sa barbe. »

« Ottachero ebbe nome, e nelle fasce
Fu meglio assai che Vincislao suo figlio
Barbuto, cui lussuria ed ozio pasce
[1]. »

La mort de ce grand roi fut un coup terrible pour la Bohême. Rodolphe de Habsbourg était maître de Prague. La veuve et le fils unique d’Ottocar, sous le masque d’une hospitalité perfide, étaient retenus captifs chez le margrave de Brandebourg, et pendant ce temps l’anarchie, la misère et la peste désolaient tout le pays. Il semblait que le royaume des Tchèques allait être rayé de la carte. Telle était cependant l’influence des institutions d’Ottocar, que tout bientôt fut rétabli dans l’ordre. Le souvenir du roi mort réveilla le patriotisme ; un courageux évêque prit le pouvoir en main, et quand le jeune Wenceslas II, mûri de bonne heure par l’infortune, put rentrer enfin dans ses états, il eut l’honneur d’en réparer les ruines à force de prudence et de dévouement. Bien plus, une gloire nouvelle, achetée, il est vrai, par de cruelles souffrances, se prépare pour le royaume des Tchèques. Encore une courte période d’anarchie, encore des catastrophes sanglantes, et quelques années après, cette couronne de l’empire qu’Ottocar II avait refusée, mais que l’orgueil slave ambitionnait, la Bohême la verra briller sur le front de ses souverains. Le petit-fils d’Ottocar, Wenceslas III, est assassiné en 1306, sans que ni le nom du meurtrier ni les motifs du crime aient jamais pu être découverts ; cette mystérieuse tragédie met fin à la liguée masculine des Prémysl, mais une femme reste encore, une sœur de la victime, la princesse Elisabeth, qui va épouser le fils du nouvel empereur d’Allemagne et recommencer pour son pays de glorieuses destinées. Je parle de ce Jean de Luxembourg, si connu sous le nom de Jean de Bohème. Ce mariage tout d’abord ne présagea rien de bon. Il n’était guère dévoué à son royaume slave, ce brillant seigneur de Luxembourg. Il eut maintes fois la pensée de l’échanger contre le Palatinat. Brave, élégant, somptueux, fou de chevalerie et d’aventures, il s’ennuyait à mourir dans sa ville de Prague. « Le fameux Jean de Bohême, dit très bien M. Michelet, déclarait ne pouvoir vivre qu’à Paris, le séjour le plus chevaleresque du monde. Il voltigeait par toute l’Europe, mais revenait toujours à la cour du grand roi de France. Il y avait là une fête éternelle, toujours des joutes,

  1. Dante, Purgat., cant. VII.