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abominable biographie que nous a transmise la tradition, on ne peut croire qu’il s’agisse du même personnage. Pour établir avec autorité une opinion si hardiment nouvelle, ce n’est pas assez de consulte : les documens inédits et de les interpréter loyalement, il faut discuter aussi et ruiner de fond en comble les témoignages contraires. Les Allemands ont jugé Wenceslas IV avec la haine implacable qu’ils ont vouée à ces rois de Bohème devenus empereurs d’Allemagne ; sommes-nous sûrs que M. Palacky n’apporte pas dans sa réhabilitation de l’Ivrogne un parti pris involontaire et la sincère passion du patriote ?

Quelle que soit d’ailleurs la vérité sur Wenceslas, il est trop évident que la révolution religieuse commencée par Jean Huss en aurait déconcerté de plus résolus et de plus habiles. Que devenaient les plans de Charles IV en présence de ces innovations hardies qui présageaient la rupture de la Bohême avec l’Allemagne ? M. Palacky fait connaître cette étonnante entreprise dans ses détails les plus intimes. Les prédécesseurs de Jean Huss, Konrad Waldhauser, Mille de Kremsier, Mathias de Janow, nous révèlent l’agitation de l’église de Prague, et lorsque les deux réformateurs paraissent, lorsque Jean de Huss et son disciple Jérôme donnent une formule plus précise aux plaintes et aux aspirations des chrétiens de la Bohème, nous comprenons le sens et la portée de la révolution qui se prépare. On a cru, comme il s’agit d’un peuple slave, que Jean Huss obéissait sans le savoir aux influences du schisme grec ; il n’en est rien. La doctrine de Jean Huss est un protestantisme anticipé ; Jean Huss est un disciple de Wiclef et un précurseur de Luther. A côté de ces rapports manifestes, il y a sans doute bien des différences ; demandez-en le détail à la savante narration de M. Palacky. Le scrupuleux historien n’avance rien sans preuves, et l’on peut se fier ici à l’impartialité de son tableau. J’y souhaiterais seulement plus de mouvement et de vie ; ce réveil énergique de la foi primitive, cette forte et douce figure du théologien tchèque, ces terribles scènes du concile de Constance, exigeaient un dessin plus net et de plus vigoureuses couleurs. J’adresserai surtout ce reproche aux deux derniers volumes, qui retracent la guerre des hussites ; artiste si vrai et si habile, quand il veut se donner la peine de peindre, M. Palacky s’est résigné ici au rôle de rapporteur érudit. Il suit les hussites dans leurs progrès de chaque jour ; il montre clairement les trois périodes de la guerre et les trois esprits qui se succèdent tour à tour, d’abord le mouvement spécialement religieux avec Jean Huss, le mouvement national avec Ziska, et enfin le mouvement révolutionnaire avec les fanatiques dont Ziska lui-même n’était pas maître ; il déroule avec une minutieuse attention toutes les vicissitudes de la lutte. La situation des partis, les doctrines spéciales des thaborites, des calixtins,