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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/536

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qui oserait fixer une limite au progrès commercial qu’on peut attendre de contrées dont les unes, comme la Chine et le Japon, sont encore fermées au commerce européen, et dont les autres, comme les îles de la Sonde, l’Australie, l’Afrique orientale, etc., ne sont encore exploitées que sur quelques points isolés de leur immense étendue ?

En présence d’un trafic de 2 millions de tonnes et d’un avenir sans limites, toute appréciation des résultats qu’on peut attendre de l’ouverture d’une communication entre la Mer-Rouge et la Méditerranée serait superflue. D’ailleurs les résultats financiers de cette entreprise ne sont qu’un côté très secondaire de la question. Sans aucun doute, l’opération envisagée comme une affaire serait avantageuse, le tarif le plus modéré donnerait des produits considérables, l’économie sur les frais de transport serait immense; mais ces résultats, malgré leur importance, ne sont rien auprès des conséquences qu’on doit en attendre pour la civilisation du monde. Quelle impulsion et quelle puissance acquerraient ainsi les efforts des puissances européennes pour civiliser l’Inde, pour ouvrir la Chine et le Japon au commerce du monde, pour coloniser la Malaisie, la Mélanésie, l’Océanie! Abstraction faite de ces immenses territoires, de l’énorme trafic auquel ils donneraient immédiatement lieu et de celui qu’ils promettent pour l’avenir, en tenant seulement compte des contrées sur lesquelles l’influence de la voie nouvelle s’exercerait plus directement et plus immédiatement, les résultats dépasseraient encore tout ce qu’on a jamais obtenu et tout ce qu’on peut espérer d’une œuvre de l’industrie humaine. Les 20,000 kilomètres de côtes qui bordent le bassin occidental de la mer des Indes, la Mer-Rouge, le golfe d’Oman, le Golfe-Persique, l’Arabie, l’Abyssinie, tant d’autres contrées autrefois prospères, et que la barbarie, livrée à elle-même, s’acharne à transformer en déserts, cette côte orientale d’Afrique, dont les mystères pleins d’intérêt commencent seulement à se révéler à nous, voilà le champ que le canal ouvrira à l’activité et à l’esprit d’entreprise des races civilisées. N’eût-il pas d’autre but, ce serait assez pour le classer parmi les œuvres qui touchent le plus profondément à l’avenir de l’espèce humaine.

Si le canal est possible, si l’opération est avantageuse en elle-même, si les résultats en sont infinis, si elle n’exige que des ressources relativement peu considérables, comment se fait-il qu’une œuvre d’un si grand intérêt reste ignorée et abandonnée? Quelles sont les objections qui en arrêtent la réalisation? D’où vient que la coupure de l’isthme de Suez occupe beaucoup moins les nations civilisées que celle de l’isthme de Panama, qui présente des difficultés bien autrement sérieuses, et qui est bien loin d’entraîner des conséquences aussi importantes?