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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/599

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en prie, ne cherchez pas à obtenir de mon père qu’il me pardonne, ce serait peine perdue ; il n’y consentira jamais. Il ne le doit pas d’ailleurs, j’ai trop mal agi. Qu’il m’oublie, si c’est possible ; qu’il oublie qu’il a eu un garçon qui s’appelait Mélan, c’est tout ce que je peux demander. Dites aussi à Josète qu’elle ne prononce jamais mon nom devant lui, elle ne ferait que le fâcher davantage et peut-être le rendre encore plus malade. Voilà, monsieur le curé, ce que j’avais à vous dire. Que vais-je devenir maintenant ? Je n’en sais rien, je n’ai pas assez ma tête pour pouvoir y réfléchir. Tout ce qu’il y a de sûr, c’est que je ne me ferai pas soldat ; rien que ce nom-là me rappelle des choses qui me peinent trop. Je vous répète aussi, en finissant, que jamais je ne retournerai à Chapois, et que jamais je ne reverrai cette pauvre fille, quoique cela me soit bien dur, n’ayant pas le courage de lui en vouloir, mais au contraire l’aimant, bien malgré moi, tout autant que par le passé. »

Après avoir pris connaissance de cette lettre, dont plus d’un passage lui arracha des larmes, Joséphine exposa au curé l’objet de sa visite. Le digne prêtre se fit rendre un compte minutieux de toutes les paroles prononcées par le père Antoine au sujet de Mélan. — Faites venir le jeune homme, dit-il ; je crois que c’est ce qu’il y a de mieux à faire. Je verrai votre père d’ici là, et je tâcherai de le préparer à le recevoir ; mais il fait trop mauvais temps aujourd’hui, il y aurait folie à envoyer quelqu’un à Bas-du-Bois.

Fixée sur ce point, la jeune fille revint à Champ-de-l’Épine aussi lestement que le lui permit l’état des chemins, de plus en plus encombrés et par la neige tombante et par celle que remuait le vent. La poussée commençait, la poussée, terrible phénomène dont pourraient seuls se faire une idée ceux qu’aurait assaillis le simoun au milieu des sables du désert. Ici, ce n’est pas toute une caravane qui périt, mais un pauvre voyageur, un pauvre fermier, parti de chez lui quelques heures auparavant pour aller au village voisin, et que la tourmente de neige enveloppe à son retour. Je ne sais pourquoi, mais il me semble qu’il doit y avoir dans les angoisses de l’homme qui lutte contre la mort seul, sans une main à serrer d’une dernière étreinte, fût-ce même celle d’un inconnu, quelque chose de plus navrant encore que n’est l’agonie de celui qui succombe avec d’autres de ses semblables. Dans la poussée, rien de ce qui annonce la mort et y prépare : la plaine est éblouissante de blancheur, le vent souffle avec violence, mais presque sans bruit. Pour ajouter encore à l’amertume de sa dernière heure, c’est à quelques pas de son village, à quelques pas de sa maison, que l’infortunée victime, pleine de santé et de force peu d’instans auparavant, tombe pour ne plus se relever. Il ne se passe pas d’hiver sans que quelques terribles ac-