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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/670

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LITTERATURE DE L’ENFANCE.

SCÈNES ET PROVERBES POUR LA JEUNESSE, par Mlle Julie Gouraud. — Une branche importante de notre littérature est demeurée dans une infériorité sensible vis-à-vis des littératures étrangères. Nous savons moins bien que les Allemands et les Anglais parler au peuple et à l’enfance, ces deux branches de la même famille d’esprits. Ce n’est pas que les efforts n’aient été singulièrement multipliés chez nous, par le dévouement d’un côté, et par la spéculation de l’autre, et que le talent ait manqué à ceux qui les tentaient; mais la plupart des écrivains voués à ces deux spécialités littéraires sont descendus jusqu’à la niaiserie en poursuivant la naïveté, et ne sont pas parvenus, chose remarquable, à se faire prendre au sérieux ni dans l’atelier, ni dans l’école. D’autres se sont brisés contre l’écueil de la manière et du compassé. L’abus de l’esprit a toujours été en France l’un des grands périls des lettres, et c’est surtout dans les livres destinés à l’enfance que cette disposition est déplorable.

Mlle Julie Gouraud a certes à se défendre plus que qui que ce soit contre l’esprit, c’est un ennemi personnel; mais en lisant ses œuvres, on voit que, sur ce point-là comme sur tous les autres, elle a pris sa mission au sérieux et n’a reculé devant aucun obstacle. Elle a donc atteint, sans trop d’efforts apparens, ce mérite suprême de la simplicité qui a fondé dans le siècle dernier la renommée de Mme Leprince de Beaumont et celle plus légitime encore de Berquin. Sans cesser d’être elle-même, elle a su parler leur langue aux humbles comme .aux jeunes. Dans Marianne Aubry, cette sœur honnête et active de Simon de Nantua, elle a tracé toute l’épopée de la vie d’une servante avec ses joies, ses douleurs et ses épreuves héroïquement supportées; dans les Mémoires d’une Poupée, l’Éducation d’Ivonne, et surtout dans le volume qu’elle vient de faire paraître, elle est revenue aux enfans, objets de ses préoccupations les plus chères et les plus constantes. Elle les enseigne sans pédantisme, elle les amuse sans les tirer du cercle de leur vie et de leurs devoirs habituels. Elle ne fait pas voyager au loin leurs imaginations et leurs rêveries, et elle pare la nature sans la fausser. La Potichomanie et les Souliers de Gaspard sont de jolis tableaux de mœurs, tels que les aurait crayonnés de nos jours l’auteur du Petit Joueur de Violon. Ce petit livre est plein de sens, et il provoque le sourire approbateur de l’âge mûr en même temps que les éclatans accès de la joie enfantine.


L. DE CARNE.


V. DE MARS.