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pas l’intention d’attaquer. Le régime de juillet 1830 fut une représentation sage, avouable, modérée, acceptable, des idées du XVIIIe siècle. De doctes esprits et de fins critiques avaient travaillé trente ans à cette œuvre ; ils avaient fait pour ainsi dire la toilette et l’éducation du XVIIIe siècle, ils l’avaient débarrassé de son bagage de blasphèmes, d’impiété, d’athéisme et d’utopies. On avait beaucoup ébranché, élagué, échenillé, et au terme de ce travail le XVIIIe siècle avait présenté un aspect décent et convenable comme les allées de Versailles et le jardin des Tuileries. On avait fait mieux encore, on avait créé des traditions à ce siècle, qui les brisa toutes, et on lui avait donné une généalogie. On parla peu de Diderot, peu de l’Encyclopédie, peu de Rousseau, peu de Voltaire lui-même, beaucoup de Montesquieu, non de l’auteur des Lettres Persanes, mais de l’auteur de l’Esprit des Lois, des doctrines anglaises et de leur influence sur la France, des cahiers de 89 et des constituais modérés ; puis on présenta ce XVIIIe siècle à l’admiration du monde sous la forme visible de la révolution de juillet. Certes, si les principes du XVIIIe siècle étaient acceptables comme principes de gouvernement, c’était bien sous la forme du gouvernement constitutionnel modéré alors établi en France. Aussi, sans remuer, sans faire passer la frontière à un seul soldat, sans distribuer aux sujets des états despotiques des pamphlets de propagande révolutionnaire, ce gouvernement gagnait-il de jour en jour en influence sur l’esprit public de l’Europe. Du fond de la tombe, Voltaire put se frotter les mains de joie, et Rousseau lui-même put s’avouer en rechignant à demi satisfait. La révolution de février arriva et renversa ce régime si soigneusement élaboré. L’Europe, étourdie de ce coup inattendu, se replia sur elle-même, et s’écria comme le prophète : Comment est donc tombé ce cèdre magnifique qui semblait appuyé sur les fondemens de la terre ! Ah ! oui, comment ? L’Europe ne chercha pas longtemps à pénétrer ce mystère, car les loisirs lui manquaient pour cela. Elle avait alors ses inquiétudes et cherchait à se débarrasser des dangers créés par la révolution, révoltes des nationalités, nouveautés démocratiques, émeutes, réclamations à main armée des droits de l’homme et du citoyen, bizarres exigences des prolétaires. Elle se débarrassa de tous ces dangers en maugréant, grognant et pestant contre la France et les doctrines françaises qui lui avaient donné de tels embarras, et jurant dans son incroyable stupeur qu’on ne l’y prendrait plus. De son côté, la France contempla avec terreur l’abîme ou plutôt les milliers d’abîmes ouverts sous ses pas. Elle fit comme l’Europe, elle fit mieux ou pis encore : elle se désavoua elle-même hautement, désaveu qui a eu et qui aura des conséquences nombreuses. Les hommes les plus considérables de la France vinrent faire publiquement leur confession