Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/738

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vêtemens : Je sens qu’une vertu est sortie de moi. Ils ont perdu une vertu en effet, le monde les a touchés, et ils participent plus ou moins de la corruption de leur temps. Et maintenant comparez-les à leurs aïeux du XVIe, et dites s’ils ont gagné en foi, en conviction, en résolution, en force de caractère. Décidément le XVIIIe siècle ne veut être jugé ni par des adversaires, ni par des enthousiastes ; il veut être jugé avec calme et impartialité, et il attend encore un historien désintéressé.

Néanmoins, corrompu ou non, le XVIIIe siècle a existé, c’est là un fait irrévocable et désormais impérissable ; toutes les colères de M. Nicolardot n’y feront rien. Il a accompli sa tâche, bonne ou mauvaise, et a laissé pour l’éternité des vérités et des erreurs qui maintenant, sous mille formes diverses et successives, vivront jusqu’à la fin des temps ; il en faut donc prendre son parti. Maudire un fait ou le glorifier n’est guère profitable, il vaut mieux chercher à le comprendre. Comme nous sommes fort désintéressé dans la question qu’agitent et M. Nicolardot et M. Lanfrey, nous allons essayer à notre tour de dire comment le XVIIIe siècle a été nécessairement inévitable, et comment il a été à la fois bienfaisant et fatal.

Un des sujets d’étonnement de bon nombre d’honnêtes publicistes est la docilité avec laquelle les rois et les aristocraties de l’Europe acceptèrent les doctrines philosophiques qui devaient amener la plus violente révolution qu’ait vue le monde. Toutefois cette docilité s’explique dès qu’on sait que la pensée des philosophes était exactement la même que celle des rois. Avant la révolution française, il y en avait eu une autre, ou pour mieux dire le XVIIIe siècle n’est qu’une longue révolution impitoyable, pleine d’âpreté et de violence. Chez tous les peuples, le pouvoir laïque se montre jaloux jusqu’à l’excès de son autorité, ombrageux et exclusif. Partout le pouvoir sacerdotal est frappé à mort par les rois. On brûle, on spolie, on emprisonne, on exile au nom du despotisme. L’antique pouvoir de l’église croule, et personne ne s’émeut : au contraire les peuples applaudissent à ce pouvoir usurpateur, qui partout se présente sous la forme de la force armée et de l’arbitraire. De Saint-Pétersbourg à Lisbonne, l’Europe présente un même spectacle. Pierre le Grand installe hardiment son pouvoir au-dessus du pouvoir de l’église ; Frédéric le Grand contient son clergé et lui impose silence ; Pombal brûle des moines, Charles III expulse les jésuites, et Choiseul, aidé de l’Espagne, amène le représentant de l’église à l’affaiblir de ses propres mains. Il n’est pas jusqu’à l’Angleterre où la populaire église anglicane ne voie diminuer son importance sous la longue administration des whigs. Sur les ruines du pouvoir sacerdotal, ce n’est point la liberté qui s’établit, c’est le despotisme monarchique, lequel semble devoir être la loi des nations modernes. C’est là le fait dominant, important du XVIIIe siècle, et il se produit également chez les