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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/776

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et des maîtres. Laissons de côte les sophismes ou les déloyautés pittoresques, les effigies de la réalité vulgaire, et toutes ces jactances de pinceau qu’on essaie de nous donner pour des révélations prophétiques, mais qui ne seront, — nous l’espérons bien, — que des accidens sans conséquences durables. Les talens considérables de notre temps ne procèdent-ils pas, soit de la vérité sentie et reproduite quelquefois sous des aspects encore inaperçus jusqu’ici, soit d’une connaissance profonde des monumens de l’art ancien ? David, en discréditant les conventions et la routine, préparait les progrès qui se poursuivent aujourd’hui ; il ouvrait la double voie où nous voyons marcher des artistes fort indépendans les uns des autres, mais que de près ou de loin il guide encore, bon nombre d’entre eux ont été formés directement par M. Ingres ou influencés par ses exemples, c’est-à-dire, dans une certaine mesure, par la tradition même de David. D’autres, sans faire cause commune avec le plus illustre représentant de cette tradition, n’ont pas pour cela rompu avec elle : ils l’ont interprétée, eux aussi, en se préoccupant surtout de l’imitation de la nature, qu’elle leur prescrivait. Envisagées ainsi, les deux grandes divisions qui séparent l’école contemporaine n’en demeurent pas moins tranchées ; elles ont seulement un point de départ unique, ou plutôt elles témoignent en même temps de l’action utile exercée par David et de la perpétuité des principes auxquels il a obéi à son heure, mais qu’il n’a pas inaugurés. C’est qu’en effet une école ne subsiste qu’à la condition de garder le souvenir et l’intelligence de son passé ; elle ne vit qu’en vertu des lois que lui imposent ses origines, ses progrès antérieurs, ses vieilles tendances. Ou elle se développe en rajeunissant une doctrine permanente, ou elle se perd, comme autrefois l’école florentine, dans des efforts de transformation impossible. Loin de nous la pensée d’immobiliser l’art, et de le condamner, sous prétexte de piété envers les ancêtres, à l’imitation matérielle et aux redites ; mais, de même que les lettres françaises gardent à toutes les époques un caractère de netteté incomparable, ce fonds de bon sens, si rare partout ailleurs que notre pays lui a donné son nom, de même en peinture on ne saurait impunément renoncer à ces inclinations sobres et sages, à ces habitudes judicieuses que nos maîtres ont perpétuées d’âge en âge. Là est la vraie gloire de l’art français ; c’est par là aussi que David et ses élèves se rattachent à leurs devanciers, et qu’ils méritent d’être proposés en exemple, non pas tous à titre d’hommes de génie, mais comme les restaurateurs et les disciples d’une tradition nationale qu’il est au moins prudent de respecter.


HENRI DELABORDE.