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celles du temple de Thésée, le Mercure de Naples, les Colosses de Monte-Cavallo à Rome et l’Orateur du musée de Florence sont des spécimens achevés de ce grand art de l’imitation. Le Teigneux de Murillo occupé à se délivrer de l’immonde fléau que logent ses guenilles est estimé soixante mille écus, uniquement parce que le peintre a réussi à faire que le cœur se soulève lorsqu’on regarde son tableau. Telle vache peinte par Paul Potter et haute d’un demi-bras ne pourrait être acquise au prix de dix mille écus, par cela seul qu’elle ressemble parfaitement à une vache... Si au lieu de s’épuiser contre moi en insinuations ridicules, en témoignages pompeux d’érudition ou en prédictions lamentables, le très anonyme écrivain avait pris la peine d’analyser mes leçons, il se serait convaincu que je ne veux, pour me rendre célèbre, ni incendier les temples, ni jeter bas les musées. Mon plus vif désir au contraire est de leur préparer des richesses nouvelles en faisant rentrer l’école dans cette voie droite et sûre où marchèrent nos glorieux quattrocentisti : hommes admirables, qui nous ont laissé pour témoignage de leur génie le merveilleux Saint George, le David colossal, et tant d’autres œuvres dignes d’être rapprochées des œuvres du divin Phidias. »

Ces derniers mots expliquent et corrigent ce que la poétique de Bartolini peut avoir au premier abord de matérialiste ou de trop absolu. Ainsi, en s’autorisant du tableau de Murillo, il semble poser en principe et recommander, à l’exclusion de tout le reste, la reproduction brute de la réalité : il n’entend toutefois prouver par cet exemple que l’importance des vérités relatives et l’appropriation nécessaire des formes au sujet. L’accent de la nature a un tel prix à ses yeux, fatigués du spectacle des grâces factices, qu’il s’incline devant l’imitation sincère d’un objet même repoussant, à peu près comme Mme de Sévigné, lasse de ne respirer que des parfums, demandait à sentir un moment « la bonne odeur du fumier. » Cependant on ne saurait conclure de là qu’il dédaigne de choisir entre les différens genres de vérité, et que peu lui importe l’expression de la vie morale, si la vie extérieure est suffisamment formulée. Son admiration pour le Saint George de Donatello et le David de Michel-Ange ne peut laisser de doutes sur ce point. D’ailleurs les œuvres de son ciseau ne montrent-elles pas dans quelle mesure il admet la transcription littérale du fait? Non, le judicieux naturalisme de Bartolini n’a rien de commun avec ce plat réalisme qu’on essaie aujourd’hui d’exhausser au niveau d’un système, et qui n’est qu’une étiquette sur le vide, un expédient pour décorer à peu de frais l’indigence de la pensée. La nature, suivant le maître florentin, voilà l’unique source du beau; l’expression du vrai, voilà l’objet de l’art; mais ce vrai et ce beau n’auront de signification dans un marbre ou sur une