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qu’une tendance opposée se manifesterait ensuite[1]. » Un accroissement dans la production de l’argent, comparable à celui qui se réalise pour l’or, n’est probable à la vérité que dans le cas où l’industrie des mines passerait aux mains d’un peuple entreprenant et avancé en civilisation ; mais ce temps est-il très éloigné, quand les Américains du Nord ont déjà conquis la moitié du Mexique et construit un chemin de fer bien au-delà sur l’isthme de Panama ?

Il y a un autre métal qui jouit au plus haut degré des propriétés monétaires, et qui semblerait au premier abord bien plus propre que l’argent à préserver la monnaie de la dépréciation dont on se préoccupe, c’est le platine. Ce métal n’a en effet que deux gîtes connus, l’un dans l’Oural, l’autre au Choco dans la Nouvelle-Grenade, et la géologie ne fait pas prévoir la découverte ultérieure d’autres dépôts importans. Le platine est de plus dans des conditions métallurgiques telles que les frais de production auxquels il donne lieu ne peuvent ni augmenter ni diminuer sensiblement. Il est, à la vérité, un peu plus difficile à élaborer que ne le sont l’or et l’argent ; mais la différence est faible, et disparaîtrait bientôt par les perfectionnemens qu’apporterait un travail constant et régulier[2]. De 1828 à 1845, le gouvernement russe a émis une monnaie de platine dont le total en dix-sept ans s’est élevé à environ 20 millions de francs ; mais cette expérience intéressante est restée incomplète. Il paraît que des employés chargés de l’affinage, profitant des obscurités de cette opération, ne portèrent le rendement qu’à 60 pour 100 au lieu de 75 pour 100, et firent vendre à vil prix, à Paris et à Londres, le métal ainsi détourné. Le prix du platine tomba de 1,100 francs à 800. Le gouvernement russe, ne connaissant pas alors la cause de cette dépréciation, on ne pouvant la faire cesser, démonétisa le platine. Quoi qu’il en soit de cette tentative, nous ne croyons pas que le platine puisse avoir dans la circulation une valeur plus fixe que l’or et l’argent. Une fois entré dans la masse monétaire, il en subirait la solidarité, et sauf de légers écarts il hausserait et baisserait comme cette masse. Les quantités existantes et celles qu’on pourrait produire sont d’ailleurs si faibles, que la circulation du platine ne pourrait pas former la monnaie exclusive d’une grande nation ; enfin le petit nombre des exploitations permettrait aux états qui les possèdent des spéculations aux conséquences desquelles il ne serait passage de s’exposer.

  1. De la Monnaie, p. 338.
  2. La grande différence qui existe à Paris dans le commerce entre le platine vieux et le platine neuf tient à ce que l’affinage de ce métal est à l’état de monopole.