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un monde baroque et impossible où ses désirs puissent trouver leur satisfaction. Qu’avez-vous à m’offrir ? dit Byron à la société ; d’ennuyeuses orgies, d’ignobles fourberies, de prosaïques adultères et des courtisanes médiocrement attrayantes. J’ai connu, j’ai senti, j’ai rêvé des choses beaucoup plus belles. Votre corruption ne me satisfait point. Chez vous, tout respire le mensonge, le calcul et les parfums rancis. Vous êtes avares, économes, rangés dans le vice, et vos passions les plus folles obéissent à je ne sais quels calculs de boutiquier. Venez, je vais vous montrer un monde merveilleux, plein de péchés, mais exempt de souillures et de malpropretés. Là des rivaux s’entretuent avec rage sous les frais rayons de l’aurore qui étincellent sur leurs épées, de sauvages amans mêlent leurs adieux au retentissement des cascades, ou échangent leurs sermens au bord des précipices ; des barques de pirates fuient sur les flots illuminés par la pourpre du couchant. Là la passion, le meurtre, le brigandage lui-même sont nobles et séduisent par leur air de grandeur. Ce monde plein de crimes est exempt de vices sordides et bas. On y tue, mais on n’y ment jamais. Tel est le caractère des héros de Byron ; ils n’expriment rien autre chose que les imaginations du poète, et je m’étonne qu’on ait voulu y voir des types du temps présent. Ces héros n’appartiennent à aucune classe ni à aucun pays, et ne veulent rien dire, sinon que leur père, nature essentiellement aristocratique, trouve la société moderne beaucoup trop bourgeoise pour lui, qu’il soutire, non pas des douleurs de cette société, mais d’être lui-même condamné à y vivre, qu’il n’a que du mépris pour elle, et qu’il ne veut pas plus de ses vices que de ses vertus.

Les personnages de Byron sont donc des créations tout individuelles et qui ne représentent aucun type général de notre temps ; ils n’expriment rien que lord Byron lui-même. En faisant un effort d’esprit, je parviens à les comprendre, mais ils n’excitent en moi aucune sympathie ; il n’y a rien en eux qui corresponde à ma nature ; je ne les ai jamais connus, et j’espère bien ne les connaître jamais. Quant à Werther, nous l’avons connu, celui-là ; il est du même sang que nous, il appartient à la même classe sociale. Son père était un honnête bourgeois de notre voisinage ; sa mère et la nôtre étaient amies. Enfans, nous avons joué ensemble ; ensemble nous avons été élevés dans le même collège, ensemble nous avons passé la saison de l’adolescence. Je le connais donc depuis longues années ; je sais les causes de son ennui, car je les ai observées jour par jour. Son grand malheur, c’est d’avoir été éprouvé plutôt par des souffrances mesquines que par de grandes douleurs. Tracasseries de la destinée, circonstances déplaisantes, médiocrité de fortune et de