Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appuyé sur des sciences, et cependant, pour la bien connaître et la bien exercer, il faut avoir au plus haut degré l’esprit d’observation et d’induction qui fait le fond de l’esprit scientifique. Il faut observer, et l’observation y est plus difficile que partout ailleurs ; il faut expérimenter, et les conditions de l’expérience ne sont jamais identiques : elles varient avec le pays où l’on exerce, le médicament que l’on emploie, l’âge, le sexe et les dispositions du malade. Les tempéramens divers mettent à chaque instant l’observateur dans des conditions nouvelles et l’empêchent de conclure avec certitude. Telle blessure, telle maladie sont mortelles pour l’un et légères pour l’autre. Tel homme peut supporter l’ablation du bras, tel autre, qui parait aussi vigoureux, mourra parce qu’on lui aura coupé le doigt. Bien plus, les mêmes maladies changent de nature sans qu’on puisse assigner une cause à ces variations, et le remède qui les guérissait peut devenir d’un jour à l’autre inutile ou funeste. Chirac disait : Je veux accoutumer la petite-vérole à la saignée. Et cette prétention n’est pas si absurde, lorsqu’on observe combien de maladies sont soulagées aujourd’hui par des remèdes que l’on n’aurait pas osé employer quelques années plus tôt. Pour cette science, la précision n’existe donc pas, et néanmoins, pour la pratiquer, il faut observer et il faut conclure, il faut même agir et agir plus rapidement que dans toute autre, car souvent, a dit Fontenelle, la raison ordonne qu’on agisse sans l’attendre.

Il n’est donc pas sans intérêt de rechercher ce que l’on sait des origines de la médecine et du commencement de son histoire, en suivant, dans cette étude, les deux savans traducteurs d’Hippocrate, M. Littré et M. Daremberg. À peine connaît-on dans le monde le nom de quelques-uns des grands médecins de l’antiquité, mais en tout cas on ne sait guère s’ils étaient des théoriciens ou des empiriques, on ignore en quoi leurs opinions ressemblent à celles qu’on enseigne aujourd’hui, et en quoi elles s’en distinguent. C’est là ce que nous voudrions exposer pour Hippocrate, après avoir cherché où en était la science au moment où il parut et ce qu’on savait avant lui. Peu de sciences d’ailleurs sont aussi communément ignorées que la médecine ; il n’en est pas qui aient donné lieu à des hypothèses plus incroyables. Tout le monde est, a été, ou sera malade, tout le monde au moins a vu des malades, et cependant presque personne ne sait ce que c’est que la maladie. Le langage des gens du monde est rempli d’expressions fausses et de chimériques raisonnemens. Que signifient par exemple ces locutions : Ma goutte m’est remontée dans l’estomac ; mon rhumatisme s’est transporté de ma jambe dans mon bras ; une fièvre violente a attaqué telle personne ? La goutte, le rhumatisme, ou, comme on dit d’une façon encore moins exacte,