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sans raison ? Les forces de la nature dont les effets sont bien déterminés, la chaleur, l’électricité, la lumière, etc., ne pourraient-elles pas, par leurs actions combinées, produire les phénomènes du mouvement et de la vie, ou parfois se transformer, sous l’action de causes inconnues, en forces différentes, comme la chaleur se transforme en mouvement, en lumière ou en électricité ? Est-il besoin d’admettre un principe vital essentiellement différent de ces forces et incompatible avec elles ?

Sans insister sur ces considérations, il nous suffit d’avoir montré combien diffèrent les principes physiologiques des deux écoles, et comment l’une d’elles se rapproche plus que l’autre des principes du fondateur de la médecine scientifique. La même divergence se retrouve dans la pathologie. On s’est bientôt aperçu que les maladies, telles que les concevait Hippocrate, étaient des êtres imaginaires formés de groupes arbitraires de symptômes, et que là aussi on supposait sans preuve des êtres immatériels dont l’action sur l’organisme était inexplicable. Quoique le langage hippocratique soit encore aujourd’hui le langage usuel, on ne conçoit guère cet être qu’on appelle la maladie livrant un combat à cet autre être qui est la vie. Si la cause vitale n’est pas connue, ses affections ne peuvent l’être davantage. L’école de Montpellier admet un être immatériel qui agit sur un autre être immatériel, lequel réagit à son tour sur l’organisation. À quoi bon admettre cet intermédiaire, et pourquoi ne pas croire que les causes externes agissent directement ? D’ailleurs on n’a jamais été d’accord sur les classifications des maladies, et c’était bien chose impossible. On a voulu les diviser d’après les symptômes, comme on divise les plantes d’après leurs fleurs et leurs fruits ; mais les plantes sont des êtres doués d’attributs toujours identiques, et dont nos sens sont frappés dès le premier abord. Les symptômes constitutifs de chaque groupe nosologique ne se sont au contraire jamais présentés dans le même ordre. Les organes ne sont jamais affectés au même degré, et la sensibilité varie à l’infini. On est alors obligé de choisir parmi ces symptômes, de les classer, et ce choix ne peut être qu’arbitraire. Linnée lui-même s’est perdu dans ce travail impossible.

Un médecin de Paris du XVIIe siècle, Bonet, eut le premier l’idée d’examiner les altérations produites dans les organes par les maladies. Son expérience fut plus tard reprise par Barrère et par Morgagni. Tous virent que chaque maladie laisse des traces physiques sur les organes qu’elle paraît avoir envahis. D’abord ils attribuèrent ces traces à la maladie elle-même, mais bientôt ils renversèrent la proposition, et l’idée leur vint que les maladies, au lieu d’être des causes, pouvaient être des résultats, et que les symptômes observés devaient toujours provenir d’altérations du corps. Il n’est pas de fonctions sans organes,