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en un mot, à exercer la domination sans en avoir les charges et les responsabilités. C’est cette conquête que l’Angleterre et la France ont eu en vue de faire cesser. À leurs yeux, Sébastopol est une de ces clés de position dont parlait M. de Nesselrode ; la flotte russe est un moyen d’aller frapper périodiquement à la porte de l’empire ottoman pour l’ébranler. Voilà pourquoi les puissances occidentales ont persisté à réclamer une garantie qui était la sanction de leurs efforts, en même temps qu’elle allait droit au but de la guerre.

Maintenant quelle est la valeur réelle des concessions de la Russie ? Nous touchons ici à une question qui conduit aux incidens les plus actuels. On ne saurait méconnaître sans doute la portée des concessions que la Russie a faites à Vienne. Elle a abandonné des traités qui devaient avoir du prix pour elle, puisqu’ils représentaient une politique séculaire ; elle a laissé substituer la garantie collective de l’Europe à son protectorat exclusif dans les principautés ; elle s’est désistée de sa jalouse surveillance sur le Danube. — Il faut bien s’entendre cependant et démêler le réel mobile du cabinet de Petersbourg. Qu’on remarque d’abord un fait : la Russie a cédé sur tous les points qui désintéressaient l’Allemagne ; elle a opposé une résistance invincible à la seule condition qui fut véritablement anglo-française, c’est-à-dire qu’elle s’est empressée de donner satisfaction à l’Allemagne, qui n’a pris aucune part à la lutte, et dont elle avait besoin de s’assurer la neutralité, tandis qu’elle s’est refusée à toute transaction sérieuse sur le point essentiel avec les deux puissances qui avaient seules le droit de revendiquer le prix de la guerre. On peut voir ici, ce nous semble, la pensée réelle, de la Russie. Le cabinet de Pétersbourg a achevé de dévoiler sa tactique en offrant, comme on sait, à l’Allemagne le maintien de ses concessions, quelle que soit désormais l’issue de la guerre. Quant à ce qu’il peut y avoir de sérieux dans cette déclaration, on nous permettra de faire observer que l’Allemagne a là une garantie assez fragile. Si la Russie en effet était victorieuse, c’est elle qui se chargerait d’interpréter ces conditions qu’elle offre de maintenir aujourd’hui ; si les puissances occidentales, au contraire, conduisent la guerre à bonne fin, comme il faut le croire, elles ne régleront point sans doute leurs légitimes exigences sur les prétentions du roi Frédéric-Guillaume, en sorte que l’offre de la Russie reste un leurre parfait. C’est avec cela cependant que le cabinet de Pétersbourg est parvenu à rejeter plus que jamais l’Allemagne dans son immobilité ; il y a mis une habileté que nous ne contestons pas. Il a réussi dans une certaine mesure, non-seulement auprès de la Prusse, dont la conviction n’est point, on le sait, difficile à former, mais encore auprès de l’Autriche, et s’il a réussi, il affecte peut-être encore plus d’avoir atteint son but.

À peine la nouvelle situation de l’Autriche s’est-elle dessinée, le cabinet de Pétersbourg s’est hâté de donner son assentiment à tous les actes du gouvernement de l’empereur François-Joseph ; il a souscrit à tout ce qu’a fait l’Autriche, et il n’a point dépendu, à ce qu’il semble, du prince Gortchakof, que les relations nouvelles des deux empires ne fussent représentées sous l’apparence d’une véritable intimité. Le prince Gortchakof, on peut s’en souvenir, est le diplomate qui faisait l’an dernier des ouvertures au ministre