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transition purement politique entre l’ancienne église romaine et les opinions des réformateurs. Grâce à cette tactique prudente, l’esprit nouveau s’est emparé de tout, des institutions, de l’église, des relations sociales, des âmes et des cœurs, — bien plus, des simples méthodes matérielles de travail, si bien que la société anglaise, en dépit de ses préjugés et de ses coutumes, est la plus moderne des sociétés contemporaines. On pourrait dire qu’elle est la société moderne elle-même, sous des formes du moyen âge. Elle est plus moderne que notre société française, où il ne subsiste plus rien des antiques formes, balayées par le vent de l’orage, mais où persistent au fond des âmes je ne sais quels sentimens d’ancien régime que toutes les révolutions n’ont pu déraciner. Elle est plus moderne que l’Allemagne avec tous ses hardis penseurs et toutes ses savantes universités, mais qui n’est moderne que d’intelligence et de désir. Chez nous, on a voulu changer à la fois le fond et la forme des choses ; en Angleterre, la méthode contraire a prévalu : la substance des choses, leur âme a été changée, leurs formes ont été conservées.

Ce caractère moderne perce dans les plus petites choses. Notre agriculture, par exemple, est encore pleine de routines et de vieilles habitudes chéries et conservées avec amour ; l’agriculture anglaise est singulièrement nouvelle et n’est devenue si florissante que par la répudiation complète des vieilles méthodes de culture et des vieux instrumens agricoles. La peinture anglaise, comme chacun peut s’en convaincre par ses propres yeux, n’est point de l’art certainement dans le vrai sens du mot et ne satisfait pas à ses conditions les plus élémentaires, mais elle témoigne d’un laborieux effort pour exprimer des sentimens nouveaux. Tout est nouveau dans cette singulière peinture, procédés, sujets, personnages, situations. La même différence se fait remarquer jusque dans le costume et la manière de le porter. Ce costume moderne, qui a reçu l’empreinte des deux événemens qui ont fait la société actuelle, ce costume bourgeois et protestant, les Anglais le portent avec plus d’aisance peut-être que nous, et il semble mieux fait jusqu’à un certain point pour eux. Ils le portent sans recherche, sans essayer de lui donner ce qu’il ne peut pas avoir. Nous essayons de donner à nos vêtemens coupés géométriquement en carrés ou en triangles, à nos étoffes vulgaires de drap et de coton, la tournure, la souplesse, les plis gracieux, la coquetterie des anciens vêtemens de soie et de velours. Les Anglais les portent sans prétentions ; ils leur laissent toute leur uniformité et leur simplicité.

Cet esprit moderne a maintenant consommé toutes ses usurpations ; il ne lui reste plus rien à conquérir. Cela étant, n’est-il pas dans la logique des choses qu’il ne se contente plus des anciennes