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Vainement elle fait effort pour ralentir sa chute rapide et se rattacher au déisme, la logique l’entraîne loin de Dieu et ne lui laisse le choix qu’entre le scepticisme et le matérialisme, entre le doute et l’impiété. Du même coup voilà l’unité des sciences brisée. Dès que la chaîne des causes, suivant l’expression d’un philosophe, cesse d’être attachée au trône de Dieu, la nature n’est plus qu’un assemblage confus de phénomènes. Les savans se la partagent, et chacun s’attache au lambeau qu’il a pu saisir. Plus d’enchaînement et d’harmonie dans l’esprit humain, tout tombe en poussière, tout s’abâtardit. Quelques savans chrétiens, comme Euler et Linné, essaient, à la vérité, de maintenir les sciences à leur ancien niveau ; mais plus le siècle marche, plus les sciences se brisent en fragmens. On a des astronomes esprits forts et des naturalistes athées, des Lalande, des Lamarck, et si les derniers enfans de cette génération corrompue sont plus respectueux et plus discrets, les Laplace, les Cuvier, les Arago ne cachent guère leur profond dédain pour la pure spéculation métaphysique.

Voilà les maux que souffre l’esprit moderne ; comment les guérir ? Il n’y a qu’un moyen, c’est de ramener les savans à la philosophie, et les philosophes à la religion. Après avoir posé en ces termes le problème du temps, voici comment le père Gratry le résout.

Le savant oratorien a fait une découverte, c’est que les sciences s’appuient sur un procédé fondamental, qu’elles appliquent sans le savoir sous les formes les plus diverses, et qui est au fond le même dont se sert la métaphysique.

Il y a deux grandes familles de sciences, celles qui se partagent l’étude de la nature, physique, physiologie, chimie, et celles qui s’appellent exactes, comme l’algèbre, la géométrie, et en général les mathématiques. Or quel est le procédé fondamental des sciences de la nature ? C’est l’induction. Et quel est celui des sciences mathématiques ? C’est d’abord le calcul ordinaire, lequel n’est autre chose que le raisonnement sous sa forme la plus précise ; mais c’est surtout ce calcul supérieur qui s’appelle depuis Leibnitz le calcul infinitésimal.

Cherchons maintenant si la métaphysique a aussi un procédé fondamental. Elle en a un. Platon est le premier qui l’ait connu, et il l’a appelé le procédé dialectique. En quoi consiste ce procédé ? à s’élever du réel à l’idéal, du fini à l’infini, de la nature à Dieu.

Voilà, s’écrie la science de notre temps, voilà le vice radical, voilà la vanité de la métaphysique. Elle veut atteindre l’infini, c’est-à-dire l’inaccessible ; elle veut parler aux hommes de l’ineffable. Et sur quoi se fonde-t-elle pour raisonner de l’infini ? Sur l’univers et sur l’homme, c’est-à-dire sur le fini. La voilà engagée dans des difficultés inextricables. Avec un point d’appui borné, la nature, et un