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Cette indolence des Chinois a fini par se communiquer aux Russes. À quoi bon veiller si sévèrement, quand les gardiens de la limite étrangère vous donnent eux-mêmes la clé de leur maison pendant huit mois de l’année ? Dans toutes ces forteresses qui commandent la frontière chinoise, les gouverneurs de la Sibérie ne placent que des officiers subalternes. M. Hansteen n’eût sans doute pas remarqué ce fait sans les bizarres incidens qui le lui révélèrent à chaque station de son voyage. On sait qu’en Russie chacun est traité selon le rang qu’il occupe dans la hiérarchie militaire, et que les fonctions civiles, assimilées aux grades de l’armée, donnent droit aux mêmes honneurs. Un professeur d’université a rang de colonel. Or, les avant-postes étant toujours commandés par des sous-officiers, les redoutes par des lieutenans et les forteresses par des capitaines, l’arrivée de l’astronome de Christiania dans les stations de la frontière donnait lieu aux plus comiques cérémonies. « Chaque fois, dit-il, que nous passions la nuit dans un avant-poste ou une redoute, le commandant venait à moi en grande tenue, accompagné de trois hommes, me rendait les honneurs militaires, puis, après m’avoir fait son rapport sur les événemens de la journée, me remettait le commandement et me demandait mes ordres. Le lendemain matin, au moment de notre départ, il était encore là, attendant à ma porte, et souvent par le froid le plus vif, que j’eusse terminé mes apprêts. Quand je pouvais le recevoir, il me faisait un nouveau rapport, et ne reprenait son autorité qu’après ma sortie de la redoute. » Une seule fois un capitaine préposé à l’une de ces forteresses, apprenant que M. Hansteen n’était pas sujet russe, non-seulement ne lui remit pas le commandement, mais refusa même de lui prêter une carte du fort et des environs. Ce fut une nouvelle occasion pour le voyageur de savoir combien ces fortifications de la frontière avaient perdu peu à peu toute importance, car un fonctionnaire de la douane à qui il raconta ce fait s’écria en éclatant de rire : « Il craignait apparemment qu’on ne lui prit sa forteresse ! Mais le plus poltron des Kirghises, chevauchant sur une vache, s’emparerait sans coup férir de forteresses ainsi défendues. » Telle était la parfaite sécurité des frontières lors du voyage de M. Hansteen. On peut dire que la Chine était ouverte, et l’absence même de forces militaires sérieuses entretenait les Chinois dans une insouciance très profitable aux entreprises commerciales des Russo-Sibériens.

Sans s’aventurer dans les provinces de la Chine, sans se faire raser la tête pour pénétrer dans le Thibet avec les négocians de Kiachta, nos voyageurs ont pu assister à d’intéressantes cérémonies de cette grande religion orientale dont le siège est à Lassa. Plusieurs des tribus mongoles établies dans la Sibérie du sud