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se divise en deux rivières, dont l’une prend le nom de Wahal, tandis que l’autre retient le nom de Vieux-Rhin. Affaibli bientôt par des divisions nouvelles, perdant à chaque pas ses eaux et son nom, le fleuve orgueilleux de la grande Allemagne court misérablement vers sa perte. Quoi ! c’est le Rhin, cela ? Les habitans eux-mêmes ne le connaissent plus : ils appellent ses eaux les eaux de la Potence. Ce n’est pas tout, il a fallu que l’art lui vint en aide et lui prêtât en quelque sorte la main pour le porter jusqu’à la mer, car, au commencement de ce siècle, il se mourait honteusement dans les sables[1].

Tous les fleuves de la Hollande sont en décadence. La Meuse paraît avoir été moins soumise aux changemens que le Rhin ; il s’en faut pourtant que le cours de cette rivière soit aujourd’hui ce qu’il était anciennement l’embouchure de la Meuse, près de Brielle, s’est beaucoup rétrécie depuis seulement deux siècles. C’est de là que, le 22 avril 1691, Guillaume III se rendit en Angleterre avec sa flotte, et maintenant c’est à peine si un petit bateau peut entrer dans cet étroit passage. Un auteur hollandais a constaté qu’en 1600 et 1611 cette embouchure était quatre fois plus large qu’en 1730. L’Escaut a également perdu de son importance : sa bouche a été déformée par des irruptions de la mer. Les changemens dans le cours des fleuves ne se sont point accomplis sans de grandes perturbations intérieures. Ici les inondations ont été en quelque sorte périodiques. La force d’immobilité de la mer opposée à la force des eaux courantes, la tendance des fleuves à ensabler leurs embouchures, la violence des vents du sud-ouest, l’abondance des pluies, surtout pendant l’hiver, les dégels, toutes ces causes ont fait refluer et déborder les rivières. Les eaux, en se répandant, ont laissé dans le pays des marais, des lacs, presque des mers, dont la formation successive n’a pas peu contribué à changer, depuis les temps historiques, la physionomie de la Hollande. L’histoire des inondations connues est une histoire longue et lamentable. Grâce à des cartes anciennes, à des notices commémoratives, qu’a réunies dans sa riche collection géographique un habitant de Leyde, M. Bodel Nyenhuis, nous avons pu suivre, surtout depuis 1702, la trace de ces fléaux répétés. Notre siècle avait vu deux inondations fluviales tristement célèbres, celles de 1809 et de 1820. Il faut y ajouter maintenant une troisième date, 1855.

C’était au mois de mars dernier. Après un dur hiver, qui avait suspendu le cours du Rhin et de la Meuse, le printemps était brusquement

  1. Le Rhin n’avait pas toujours fini de cette façon. Il existe une ordonnance de 1185 qui enjoint de faire disparaître une espèce de barrage dans le Rhin près de Zwammerdam, afin de ne point interrompre le cours de la rivière, — preuve évidente que l’embouchure de Katvijk existait alors.