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communicative de leur esprit, conservent encore une attitude farouche en face des Russes. « Venez à moi, leur dit-il, venez du haut de vos rochers vous asseoir au bord de nos fleuves, venez et soyons amis. Vous trouverez en moi un frère ; moi aussi, comme vous, je redoute les hommes ; nous saurons nous entendre… » Ces vers de M. Stepanov sont précieux à recueillir ; ils ne prouvent pas seulement les sympathies que les Tonguses inspirent aux conquérans de la Sibérie, ils contiennent aussi un indice de la conduite des Russes avec les tribus barbares. Il y a dans le caractère russe, on ne saurait le nier, une singulière force d’assimilation ; au lieu d’opprimer les races inférieures, comme les Espagnols et les Anglais de l’Amérique, ils se mêlent à ces hommes primitifs, ils prennent leur costume et leur langue. Cela est visible surtout dans la Russie d’Asie, et rien ne fait plus honneur à l’humanité des Russo-Sibériens. M. Hill en est émerveillé ; sa fierté de citoyen anglais ne l’empêche pas de proclamer sur ce point la supériorité de l’esprit russe et les avantages que la politique des tsars doit en retirer un jour.

Les Jakoutes ne sont pas aussi vifs, aussi enjoués, aussi intelligens que les Tonguses, mais il y a chez eux la même douceur de caractère. M. Hill, se dirigeant vers le Kamtchatka, a fait le long et pénible voyage d’Irkutsk à la mer d’Ochotsk avec une escorte de Jakoutes, et il a eu le temps d’apprécier, soit chez ses guides, soit dans les stations et les villages, le génie sympathique de cette race. C’est une véritable expédition qu’un voyage d’Irkutsk à Ochotsk ; il faut traverser des forêts immenses habitées par des ours, de vastes plaines marécageuses où les chevaux ne peuvent avancer que pas à pas ; sans le courage, l’industrie et le dévouement des Jakoutes, M. Hill eût infailliblement péri. Avec leur naïve candeur, ces Jakoutes sont d’une bravoure intrépide ; ils n’ont qu’un simple couteau de chasse pour lutter contre l’ours, et ils ne craignent pas de l’attaquer corps à corps. Une chose vraiment touchante, c’est leur tendresse toute cordiale pour leurs chevaux. Je détacherai ici une jolie page de l’écrivain anglais. M. Hill et ses compagnons viennent d’arriver à Jakutsk ; les chevaux qui les ont conduits jusque-là à travers tant de difficultés et de périls sont harassés de fatigue ; on les remplace par des chevaux frais, et les voyageurs reconnaissans, avant de se séparer de ces fidèles serviteurs, vont leur faire leurs adieux.


« Ils étaient attachés à un tronc d’arbre, et se tenaient là, dans une complète immobilité, la tête penchée vers la terre. Ils semblaient à moitié éveillés, à moitié endormis. Nous leur adressions maintes paroles d’affection et de regret, nous prenions plaisir à soulever leurs longues crinières blanches, qui leur tombaient des deux côtés jusqu’aux genoux ; nous étions heureux, ne pouvant faire autre chose, de les caresser, et de les caresser encore. Pendant que nous étions occupés ainsi, nos Jakoutes arrivèrent pour remplir le