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doit épargner à l’homme le plus pénible de ses travaux est trouvé, et il est à peu près arrivé à sa perfection. L’Amérique a encore eu cette gloire, sinon d’inventer, au moins d’exécuter mieux que les autres cet outil libérateur. Je ne puis dire de quel sentiment j’étais pénétré en voyant les épis tomber et se ranger en andains sur son passage, Un homme, commodément assis, dirige les chevaux qui traînent l’appareil ; un autre est employé, dans quelques machines, à ramasser les épis avec un râteau ; mais son intervention n’est pas nécessaire et il en est qui s’en passent parfaitement. La machine de Mac Cormick, de Chicago (Illinois), moissonne un are par minute, ou plus d’un demi-hectare par heure ; c’est la meilleure et la plus ancienne, car elle avait paru à l’exposition universelle de Londres en 1851, où elle présentait encore quelques défauts qui ont été corrigés. Mac Cormick en vend 2,000 par an, au prix de 750 fr. Chicago, d’où nous vient cette révolution bienfaisante, était un désert il y a quinze ans.

La France n’est pas tout à fait sans quelque participation à la solution de ce grand problème. Au nombre des moissonneuses essayées cette année, il en est une imaginée et fabriquée en France par M. Cournier, mécanicien à Saint-Romans (Isère). Défectueuse à quelques égards, mais d’un perfectionnement facile, elle a ce mérite, qu’elle marche avec un seul cheval, et je ne doute pas qu’il ne soit possible de l’établir à 500 fr. quand on en aura un débit un peu considérable. Qu’est-ce qu’un pareil déboursé en comparaison des craintes, des lenteurs, des embarras et des dépenses qu’entraîne la moisson ? On peut dire que M. Cournier n’a eu l’idée de sa machine qu’après l’apparition de celles de Mac Cormick et de Bell, mais voici qui établit plus nettement en notre faveur un certain droit de priorité : une moissonneuse fort analogue à celles-ci a été inventée et publiée il y a dix ans par M. Constant de Rebecque, propriétaire à Poligny (Jura) et frère de Benjamin Constant. On ignore généralement ce fait, qu’il m’a paru juste de rappeler.

Quelques personnes paraissent s’inquiéter des conséquences que peuvent avoir ces machines pour les salaires ruraux. On peut se rassurer. L’invasion ne sera jamais assez subite pour que l’effet en soit sensible partout à la fois ; l’extrême lenteur est ici plus à craindre que la précipitation, et dans tous les cas on peut être certain que la somme de travail ne sera pas diminuée ; les bras devenus libres seront employés à d’autres travaux qu’on ne fait pas aujourd’hui, et qui augmenteront d’autant la production ; c’est ce qui arrive toujours en pareil cas. Dans toutes les industries où a pénétré l’emploi des machines, les salaires ont monté au lieu de baisser ; il en sera de même dans l’industrie rurale. L’exemple de l’Angleterre, où l’on emploie plus de machines aratoires et où les salaires ruraux sont plus élevés que chez nous, le démontre