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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/1173

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nié personne, et comme je n’ai jamais écrit une page sans la signer de mon nom, il est facile de vérifier ce que j’avance. Depuis que je tiens une plume, je me suis trompé sans doute plus d’une fois, je n’ai jamais essayé de tromper personne.

Cependant, après avoir admis pleinement la valeur morale des documens fournis par M. Paul Meurice, je ne me tiens pas pour battu. J’ai le droit de contester et je conteste la comparaison accréditée par MM. Jules Janin, Théophile Gautier et Victor Hugo. Admettons un instant que les pièces d’orfèvrerie sorties des ateliers de M. Froment Meurice aient la même valeur que les œuvres de Benvenuto Cellini. Prenons pour deux quantités égales les noms de l’orfèvre parisien et de l’orfèvre florentin. Une question se présente naturellement à tous les esprits de bonne foi. Puisque M. Froment Meurice compte parmi ses collaborateurs MM. Pradier, Cavelier, Feuchères, Klagmann, Justin, Liénard et Rouillard, j’en passe et des meilleurs, on peut, on doit se demander, soustraction faite de la part attribuée aux sculpteurs que je viens de nommer, ce qui reste à M. Froment Meurice. Quelle fraction représente-t-il dans cette unité ainsi ébréchée ? Il y aurait une manière bien simple de résoudre cette question délicate : ce serait de nous montrer une œuvre conçue, composée, exécutée par M. Froment Meurice, sans le secours d’aucun collaborateur. Nous pourrions alors estimer, mesurer la valeur de son talent personnel ; Tant qu’on n’aura pas mis sous nos yeux un document de cette nature, nous aurons le droit de ne pas accepter la comparaison accréditée par MM. Jules Janin, Théophile Gautier et Victor Hugo.

Je vois, dans les rapports signés par MM. Denière, Wolowski et de Luynes, que M. Froment Meurice dirigeait, inspirait ses collaborateurs ; c’est là sans doute un beau rôle, un rôle glorieux ; ce rôle ne suffit pourtant pas pour placer M. Froment Meurice sur la même ligne que Benvenuto Cellini. Un orfèvre inspirateur, fût-il doué d’un souffle tout-puissant, ne sera jamais confondu avec un orfèvre modeleur. Or c’est là ce que je tiens à établir, et les révélations faites aux jurys de 1844, 1849, 1851, ne changent rien à l’état de la question. Je n’ai pas dit que M. Froment Meurice s’attribuait, mais qu’il se laissait attribuer les œuvres d’autrui, ce qui est fort différent, et le silence gardé par le Catalogue officiel de l’exposition universelle me donnait le droit de parler ainsi. Placer dans une vitrine des œuvres sans signature, inscrire son nom sur cette vitrine, n’est-ce pas signer du même nom toutes les œuvres qu’on expose ? Le silence, en pareil cas, entraîne d’inévitables méprises. Voilà ce que j’ai dit, ce que j’avais le droit de dire après avoir consulté inutilement le Catalogue de l’exposition universelle. En parlant ainsi, je ne calomniais pas la mémoire de M. Froment Meurice ; je mettais à profit la seule partie de la vérité qui fût venue jusqu’à moi. Comment aurais-je pu faire usage des documens livrés au jury, et que le catalogue ne répétait pas ?

Je n’éprouve donc aucun remords en apprenant que je me suis trompé. J’enregistre avec joie les noms des collaborateurs de M. Froment Meurice, et j’espère que le public ne le confondra plus avec Benvenuto Cellini. Cette comparaison imprudente, imaginée par des amis maladroits, n’est plus de mise aujourd’hui. Vouloir la renouveler, la soutenir, serait méconnaître les intentions du fabricant habile si étourdiment compromis depuis dix ans.