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cela du caractère des habitans, qui ne s’enflamme pas très vite, mais qui nourrit longtemps son enthousiasme.

L’usage de la tourbe est très ancien ; il remonte, selon toute apparence, aux premiers temps où le pays fut habité. La nécessité à laquelle était réduit le peuple balaye en brûlant sa propre terre a arraché une plainte et un soupir au grave Tacite. Pline admirait l’industrie de ces peuples qui, dépourvus de bois, prenaient de la terre dans leurs mains, et, avec cette terre séchée au vent encore plus qu’au soleil, préparaient leurs alimens, réchauffaient leurs entrailles engourdies par les glaces du Nord, rigenta septentrione viscera sua urunt. Extraire la tourbe et s’en servir comme moyen de chauffage est un art connu en Hollande depuis les temps les plus reculés[1] ; mais ce qui est relativement nouveau, c’est l’amélioration de ce combustible par des procédés techniques. Dans l’enfance de cette industrie, les habitans extrayaient la tourbe par mottes grossières, informes, et la brûlaient après l’avoir fait sécher. La tradition rapporte la méthode de faire et de préparer la tourbe à des paysans de la Hollande et de la Frise qui, vers l’an 1215, découvrirent le moyen de perfectionner ce présent de la nature. Une telle invention se répandit aussitôt. À la fin du XIIIe siècle, on vendait assez généralement dans les Pays-Bas des mottes de tourbe travaillées et qui avaient une forme régulière. Cette forme a d’ailleurs changé depuis les temps historiques ; nous avons vu à Leyde, dans l’hôtel-de-ville, des morceaux de tourbe pris dans une tente des ennemis pendant le siège de 1574, et qui sont tout à fait cubiques, tandis que la figure actuelle est celle d’un parallélipipède allongé.

Les Hollandais ne sont point d’accord entre eux sur l’étymologie du mot par lequel on désigne dans leur langue ce combustible, turf ou torf. Plusieurs le font dériver d’un ancien vocable dorst ou durst, qui signifie pauvreté, par allusion sans doute à la pénurie de bois contre laquelle les glèbes fossiles sont appelées à réagir. Cette idée de pauvreté convient, il faut l’avouer, à la tristesse des foyers qu’alimente la tourbe. Ce combustible ne donne malheureusement pas la flamme joyeuse du bois, ni la riche lumière du charbon de terre. La tourbe blanchit plutôt qu’elle ne flambe. Autour de ces foyers ternes, le plus souvent fermés, on ne voit point, comme à la lueur des feux de bois, danser sur le mur les esprits familiers de la maison. Si elle ne donne point l’éclat pétillant ni la chaleur des autres combustibles, la tourbe n’en est pas moins une ressource considérable dans un pays où la nature a tout fait, non pour l’homme, mais contre l’homme. La consommation de la tourbe augmente toujours

  1. Il est fait mention de la tombe sans les lois saliques.