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lieutenant Jean-de-Dieu Cazalis ; voulez-vous recevoir mes excuses ? Vous êtes le premier homme auquel de ma vie j’aurai demandé pardon.

Marcel ne s’était nullement senti blessé. S’il y avait eu offense, l’insistance qu’on mettait à la réparer l’eût encore aggravée aux yeux d’un vaniteux ; mais en ce moment Marcel ne songeait qu’à la cordialité qui éclatait dans cette maladresse même : il était très embarrassé de l’embarras de ses hôtes, et volontiers il leur aurait demandé pardon pour tout le trouble dont il était cause, il lui fut impossible de trouver une seule parole, et pour toute réponse il serra la main de M. Cazalis.

Le lieutenant insista pour retenir Marcel à dîner. Marcel aurait voulu partir, il était attendu à Seyanne ; mais il craignait qu’on ne vit dans son refus quelque rancune : il accepta, et le lieutenant sortit avec lui pour aller visiter les semis de melons et les nouvelles vignes. Espérit disparut sous les saules du Grand-Vallat ; on ne le revit qu’au dîner. Ce dîner fut très gai. Dès les premiers momens, on causa avec un grand abandon. M. Cazalis voulut connaître l’histoire de Marcel ; Marcel raconta sa vie, et tout d’abord il s’établit entre lui et ses hôtes une sorte d’intimité. Il semblait qu’ils s’étaient connus de tout temps.

Avant la nuit, Marcel voulut prendre congé de M. Cazalis. — Je prends toute votre soirée, dit le lieutenant ; on vient de m’avertir que ma sœur coucherait à San-Bouzielli ; restez, restez, nous relirons le premier acte : nous voilà libres comme l’air.

Marcel répondit qu’on ne pouvait pas se passer de lui à Seyanne pour la fournée du soir.

— Ce n’est pas vrai, dit Espérit ; pendant que vous étiez aux nouvelles vignes, je suis parti pour Seyanne et j’ai enfourné le pain avec le petit frère Damianet, la preuve, c’est qu’on va vous servir les fougasses. Appelez la Zounet.

La Zounet vint servir les gâteaux apportés par Espérit, et le premier acte fut de nouveau mis en lecture. Il était très tard lorsque le lieutenant consentit à laisser partir ses acteurs ; il les accompagna jusqu’au bois des Gargoris et leur donna rendez-vous pour le lendemain. — La troisième répétition, dit-il, ce sera pour la foire de Vaison, mais demain soyez exacts ; c’est jour de lessive, nous serons libres comme l’air. Ah ! mon ami, dit-il à Marcel, vous ne savez peut-être pas ce que c’est qu’un jour de lessive. Ce jour-là, le tonnerre pourrait tomber sur la maison sans qu’on y prit garde.