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ont essayé de conduire la guerre, il y aurait banqueroute avant huit jours. »

Le mois suivant, M. Roebuck fit sa motion. Il proposa un comité d’enquête pour s’assurer de l’état de l’armée devant Sébastopol et de la conduite des autorités chargées de pourvoir à ses besoins. Cette proposition était naturelle. Si l’on songe à la gravité de la question, à la préoccupation publique, à l’évidente impuissance où chaque fraction du ministère était de prendre la tête des affaires, à moins qu’on ne lui prêtât main forte ou lui fît violence, il fallait un acte énergique qui fût à la fois une menace et un appui, un stimulant et un frein. Quiconque avait été ou croyait rester ministre était obligé de s’y opposer, c’est tout naturel, et pour s’y opposer, de crier à l’usurpation de pouvoir. Cependant M. Roebuck, qui est tout à la fois très avancé en libéralisme et très sensé, savait bien que l’énergie dans le choix du moyen n’excluait pas la prudence dans l’emploi du moyen. Il ne voulait que mettre dès le premier moment aux mains de la chambre une arme dont elle se servirait comme le commanderaient les circonstances, et l’événement lui a donné raison; mais ceux-là même qui s’opposaient à l’enquête, c’est-à-dire à un procédé régulier d’intervention parlementaire, commençaient à produire ces singulières doctrines qui acquittent les hommes pour accuser les choses, et mettent le pouvoir hors de cause afin de faire le procès aux institutions. Lisez par exemple le discours de M. Bernal Osborne. C’est un radical vif et sincère, mais il est secrétaire de l’amirauté; il défendait donc le ministère. Pourquoi le sacrifier en effet quand toute la faute ne venait pas de lui, mais d’un système qui date du moyen âge, et qui a résisté au temps et à la raison? En disant que c’est l’organisation militaire qui a fait le mal, l’orateur se vantait presque de déplaire à l’aristocratie; mais il devait à son pays la vérité.

La chambre n’eut pas autant d’indulgence d’un côté ni de sévérité de l’autre : la motion passa et le ministère partit. Ainsi fut résolu ce que j’ai appelé la première question. La seconde ne tarda pas à venir. Il s’agissait de la consolidation comme parlent les Anglais, ou, comme nous dirions, de la centralisation des pouvoirs qui forment, dirigent et administrent l’armée. Il faut ici rappeler comment en 1854 ils étaient encore divisés. Il n’y avait point de ministre de la guerre. Personne dans le cabinet n’exerçait directement une autorité un peu considérable sur l’armée, excepté quand le commandant en chef des forces était membre du cabinet, et depuis longtemps il ne l’était plus. Par un singulier scrupule, l’armée étant sous l’autorité directe de la couronne, on tenait que le commandant en chef, n’ayant à répondre qu’à la reine, devait être en dehors de