Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sendric ! quel innocent ! Ce n’est pas un homme. Sans sa Damiane il se croit perdu. Qu’elle s’écarte d’une minute, il n’a plus sa tête : il est muet, il est sourd, le voilà dans la lune. Toujours cette Damiane, cette Damiane ! Loin d’elle, vous êtes un corps sans âme.

— Ah ! la Damiane est une maîtresses-femme ! dit le Mitamat en hochant la tête.

— Elle a bien ses vertus, dit la tante.

— Oui, certes, et sur ma foi ! tante Laurence ! A qui le dites-vous ? La Damiane et moi nous sommes comme les deux doigts de la main.

— Et vous ne la valez pas, notre Sendric ; vous ne la vaudrez jamais, entendez-vous ? Dans son petit doigt, elle vous vaut tout entier.

— C’est très certain, notre tante, vrai sur l’honneur ! vous parlez bien. Il n’y a pas deux Damianes au monde ; on irait jusque dans les îles sans trouver sa pareille !

— Oh ! c’est une personne fort méritante. Avec vous, elle a bien eu ses traverses. Si je vous dis tout ce bien d’elle, notre Sendric, ce n’est pas pour vous peiner, croyez-moi ; si je savais vous mortifier, je me tairais sur l’heure.

— Allez, allez toujours ! s’écria le Mitamat, qui ne se lassait jamais d’entendre l’éloge de sa femme. Parlons-en, de cette Sendrique, et jusqu’à demain, si vous voulez. M’y voici. Avancez la marmite : j’ai grand’faim. — Et d’un air réjoui il se servit une pleine écuelle.

En le voyant si bien disposé, la tante reprit avec insistance : — Oui, notre homme, vous avez là une bonne femme ; elle vous est fort attachée, et bien trop. Ah ! si vous saviez comme elle languit quand vous êtes dans vos foires, Juif-Errant ! Maintes fois j’ai connu qu’elle se tenait à quatre pour ne pas pleurer comme une Madeleine.

— Vrai ? dit-il. Ah ! si jamais on m’y reprend à ces foires, que je perde mon nom ! La tante, voilà bien six mois que je n’ai mis les pieds hors de la commune, sinon pour aller au moulin. Ces marchés, ces marchés, c’est fini !

— Dieu le veuille, brave homme, Dieu le veuille ! Suivez toujours mes avis, et vous n’en serez que plus heureux. Croyez-moi, renoncez-y à ces foires ; c’est un gros chagrin pour votre Sendrique. Il serait temps de lui donner un peu de contentement. — Puis elle ajouta finement : — Et d’ailleurs, à quoi bon maintenant tous ces voyages ? Que vous reste-t-il à acheter ? Votre hangar n’est-il pas garni du haut en bas ? On dit que c’est plein comme un œuf. A quoi bon ? Juste ciel ! à quoi bon ? Là, entre nous, brave homme, expliquons-nous donc une bonne fois pour toutes, et puisque nous sommes seuls, profitez-en pour me dire un peu ce qui se passe par