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réduites à chercher nu dehors des qualités plus communes, mais offertes à des prix plus discrets. Les organsins d’Alais valaient de 100 à 110 francs net le kilogramme, tandis qu’on pouvait obtenir à Londres des soies grèges de Chine à 49 francs, ou des bengales d’un ordre supérieur à 56 francs. Ouvrées et mises en état, ces soies ne revenaient pas au-dessus de 70 à 72 francs, et présentaient ainsi une marge de 25 pour 100 sur les matières récoltées et préparées en France; essayées sur nos métiers, elles y donnèrent de bons résultats. La spéculation se porta donc de ce côté et prit bientôt de grandes proportions. Aujourd’hui il est peu de fabricans qui n’emploient, au moins en mélange, des soies de Bengale, et n’aient à se féliciter de cette innovation. On est parvenu à obtenir, au moyen de cet élément, des étoiles égales en qualité, et qui coûtent infiniment moins cher: c’est, il faut le dire, que les procédés de l’ouvraison en ont pour ainsi dire renouvelé la matière première, et qu’en sortant des moulins de l’Ardèche, ces soies ont acquis un lustre, une pureté, un éclat dont on ne les croyait pas susceptibles.

Une autre opération, plus curieuse et plus originale encore, a suivi celle-là. Les soies du Levant, celles de Syrie surtout, passaient pour les plus détestables qu’il y eût au monde. Chargées de matières hétérogènes, lourdes et grossières, elles ne convenaient qu’aux emplois communs, et remplaçaient la bourre dans beaucoup de cas. A quoi cela tenait-il? Aux procédés élémentaires employés sur les lieux et à la routine des éducateurs. En vain des maisons françaises habiles et hardies avaient-elles créé dans le Liban même des établissemens importans, bien situés, bien outillés, réunissant toutes les conditions de succès : des habitudes invétérées semblaient mettre au défi la patience et l’intelligence des fondateurs. La soie n’était pas filée comme ils le voulaient et comme elle aurait dû l’être. Quel parti prendre? On ne réforme pas un peuple en un jour, et il était difficile d’envoyer si loin des ouvriers comme on avait envoyé des instrumens. Ne pouvant surmonter la difficulté, nos fabricans la tournèrent. Jusqu’ici le cocon était regardé comme une marchandise d’un transport impossible; tout lui est funeste, la compression, la pluie, l’atmosphère. C’est comme un fruit mûr qui ne doit être consommé que sur place. Le ver qu’il renferme ne peut se dissoudre sans altérer son enveloppe et en dégrader le prix. Tels étaient les obstacles; ils ont été vaincus. Les cocons sont devenus transportables sans dépréciation, et voici comment : on les étend sur le sol en couches légères et on les soumet à l’action du soleil. Au moyen de ce traitement, non-seulement les chrysalides périssent asphyxiées comme dans nos fours et nos étouffoirs, mais à la longue elles passent à l’état complet de dessiccation; ce n’est plus une matière animale, mais une poussière inerte. Plus