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disparait dans le bouleversement des fortunes, les vêtemens se transforment, une sorte d’interdit somptuaire pèse sur toutes les classes et les réduit au même niveau. A l’aisance a succédé une misère commune. De là une crise plus violente que les crises antérieures et qu’aggrave le siège de Lyon : les métiers tombent à 3,000, et le choc a été si rude, que le chiffre ne se relève pas même avec la chute de cette politique à outrance, et quand le gouvernement échoit à des mains plus modérées. Il faut arriver à l’empire pour retrouver la situation de 1688 et de 1765, 12,000 métiers battans; c’est tout ce que purent amener la renaissance du luxe et douze ans de sécurité intérieure, accompagnés d’un énorme accroissement de territoire. Le chiffre de 1789 ne fut point alors atteint: c’est que la guerre sévissait et tendait à l’excès les ressorts du pays, enlevait les bras aux ateliers et l’argent aux caisses privées, fermait les marchés lointains et ne laissait à l’industrie pour débouché qu’un continent en feu et ruiné par les exactions militaires. Aussi, dès que la paix fut rendue au monde, y eut-il un essor soudain et presque inespéré. Dès 1816, on comptait à Lyon 20,000 métiers à l’œuvre, 24,000 en 1822, 27,000 en 1827. Depuis lors, le mouvement ne s’est plus arrêté; à peine y eut-il une courte halte à la suite des révoltes locales de 1831 et de 1834; dès le milieu de 1837, le nombre des métiers s’élevait à 40,000, et au moment de la révolution de février il dépassait 50,000. Voilà où dix-huit années d’un règne paisible et régulier avaient conduit l’industrie de Lyon. Jamais elle n’avait connu des jours plus prospères ni poussé ses conquêtes plus loin : son travail d’alors, rapproché de celui des époques précédentes, sous la convention, sous Louis XIV, sous l’empire, sous Louis XVI et sous la restauration, était comme vingt, cinq, quatre, trois et deux sont à un. Ces chiffres sont significatifs.

Circonstance singulière et qui mérite d’être signalée! Les événemens de 1848 ne portèrent pas à la fabrication des soieries le même coup qu’aux autres branches de la production française. On aurait pu croire qu’au milieu de la détresse du crédit, des agitations populaires, des sombres perspectives du temps, ces objets de luxe, ces superfluités recevraient une bien autre atteinte que les denrées et les marchandises de première nécessité, celles qui défraient nos plus stricts besoins. C’est le contraire qui eut lieu. Pendant que les tissus de laine et de coton, même les plus communs, éprouvaient des dépréciations notables et supportaient les dommages inséparables du délaissement, les étoffes de soie continuaient à faire bonne figure, maintenaient ou élevaient leurs prix et restaient en possession de leurs débouchés. Il est même constant qu’aucune période ne leur a été plus favorable que celle des quatre aimées qui se sont