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chrétiens orthodoxes pour en chasser l’islamisme. Le prétexte religieux a changé, le but est le même.

Un autre avantage de la situation de Kief, c’était que les Russes, en longeant les Carpathes, pouvaient communiquer de ce point avec l’Allemagne méridionale ; ces communications semblaient promettre d’importans résultats. Si Kief eût pu garder son rôle de capitale militaire de la Russie, peut-être ce pays, après la chute de l’empire grec, subissant les influences de l’Allemagne et de la Pologne, eût-il fini par s’unir tout entier à l’église latine. Les destinées de la Russie eussent alors complètement changé. Il y aurait eu fusion avec la Pologne, et la Russie, mise en rapport avec l’Occident dès son premier âge, se serait plus promptement modelée sur une civilisation plus avancée.

Malheureusement, vers le milieu du XIIIe siècle, des obstacles inattendus s’opposèrent à ce développement si désirable de Kief. Cette ville touchait à la steppe, à l’immense plaine, alors inculte, qui s’étend à l’est depuis le Dnieper et le Dniester jusqu’au Volga, et au midi jusqu’à la Mer-Noire. Cette contrée, connue aujourd’hui sous le nom de Russie méridionale, et qui fut jadis le pays des Scythes, resta occupée pendant une longue suite de siècles par des populations barbares, nomades et vivant de rapines, venues d’Asie par la Caspienne ou la Crimée, soit à la suite, soit en éclaireurs des diverses invasions que l’Orient précipitait sur l’Occident. Déjà les Khozares n’avaient pu être repoussés par les habitans de Kief que grâce à l’intervention des princes russes. Les Khozares étaient une de ces peuplades de la steppe dont la guerre et le pillage se partageaient la vie errante. Les princes de Kief détruisirent les Khozares ; mais d’autres ennemis apparurent à leur place. Ce furent les Petchénègues, de la race des Huns, qui n’avaient occupé jusque-là que le pays situé entre le Volga et le Don, et qui se répandirent bientôt dans la steppe jusqu’au Dnieper, pour se livrer, comme les Khozares, au pillage et à la dévastation sur les terres de la Russie centrale et de Kief. Ces nouveau-venus n’occupèrent même pas durant un demi-siècle les campemens d’où ils avaient chassé les Khozares ; ils furent à leur tour (au milieu du XIe siècle) expulsés ou absorbés par les Polovtsis, qui arrivaient des bords de la Mer-Noire et de la mer d’Azof. Cette dernière peuplade était plus nombreuse que la précédente, et il semble qu’au milieu d’un ramassis de diverses races l’élément slave y ait dominé. Les Polovtsis devinrent très redoutables aux Russes de la frontière méridionale ; ils passèrent fréquemment le Dnieper, ravagèrent les possessions de Kief et incendièrent plusieurs fois la ville même, souvent battus, châtiés jusque dans leurs campemens et repoussés à grande distance, mais toujours