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revenant à la charge et ne se rebutant jamais, toujours ramenés par l’ardeur du pillage et l’instinct féroce de la dévastation.

Ce dangereux voisinage et ces attaques incessantes d’un ennemi insaisissable décidèrent enfin les princes russes à abandonner la résidence de Kief et à transportée leur capitale à deux cent cinquante lieues de là, dans la direction de l’est, à Vladimir, sur la Kliasma, petit affluent du Volga supérieur, — position agréable, mais peu forte, et qui ne put opposer qu’une courte résistance à l’attaque des Tartares, dont l’invasion, facilitée par cette translation imprudente, survint deux siècles plus tard. Ce changement de résidence, accompli en 1157, et qui devait soustraire les Russes aux atteintes des tribus de la steppe, les plaça ainsi sans défense sous les coups immédiats d’un ennemi beaucoup plus redoutable.

À la longue période qu’avaient remplie les luttes contre les Khozares et les Polovtsis[1] allait succéder une ère plus triste encore, celle de la domination tartare en Russie. L’installation de ce nouveau pouvoir est un des faits les plus considérables des annales de cet empire : si l’invasion étrangère y détermina en effet le mouvement d’où devait sortir l’unité nationale, elle laissa en même temps dans le caractère du peuple russe des traces profondes qui ne sont pas encore effacées.

Les premiers Tartares parurent en Russie ; au commencement du XIIIe siècle. Conduits par Batou-Khan, petit-lils de Gengis-Khan, ils se répandirent d’abord dans la steppe, région ouverte à toutes les invasions ; mais, ayant rencontré quelque résistance du côté de Kief, ils se lancèrent bientôt vers la nouvelle capitale, Vladimir, qui ne sut pas se défendre et fut saccagée de fond en comble. La femme du grand-prince, deux de ses fils, ses filles, l’archevêque, et tout ce que la ville contenait de personnages illustres, furent brûlés avec la cathédrale, où ils s’étaient réfugiés. Le reste de la Russie passa bientôt sous le joug. La lutte fut courte, mais

  1. Il ne fut plus question de ces Polovtsis après l’invasion tartare. Les conquérans de la Russie refoulèrent les peuplades de la steppe en même temps qu’ils asservissaient les habitans du pays. Cependant, si le nom des Polovtsis a disparu de l’histoire, on est fondé à croire que les populations aujourd’hui désignées sous le nom de Cosaques ne sont autres que les restes de cette nation belliqueuse et pillarde, dont elles occupent le territoire. Les bourgs et villages des Cosaques sont encore appelés stanitsa, mot qui signifiait campement chez les Polovtsis, et qui a gardé sa signification ancienne. Les mœurs et l’organisation militaire sont à peu près les mêmes chez les deux peuplés. Le nom de cosaque ou caïsak fut donné aux peuples de la steppe par les Tartares : il signifie vagabonds et a ainsi le même sens que la mot polotsis (coureurs des plaines). L’appellation de caïsak désigne d’ailleurs chez les Tartares divers groupes nomades de leur propre race, — les Kirghis-Caïsaks par exemple, hordes tartares qui campent au-delà de l’Oural. Mélange ou résidu de tous les nomades de la steppe, païens ou chrétiens, les Cosaques forment un trait d’union entre le Russe et le pur Tartare.