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secondaire. La hiérarchie morale est bouleversée, et il arrive un moment où le fait est tellement multiplié, où son usurpation sur la société est si complète, qu’il est impossible de le détrôner, et que le seul remède contre lui est la mort. Quand les sociétés ont été assez imprudentes pour laisser se perdre l’équilibre moral entre les divers principes qui représentent la vérité, elles en sont durement punies. L’Espagne est morte pour avoir trop cru à la puissance d’un seul principe, qui était cependant le plus important et le plus élevé de tous, — à savoir l’autorité souveraine des représentans de l’ordre spirituel. Et qu’est-ce qui a manqué à l’Italie, riche de tant de dons inestimables ? Rien, si ce n’est un peu de discipline, c’est-à-dire le moyen de maintenir un équilibre sévère entre toutes les forces de l’esprit. Si ces nations ont été punies pour avoir été ou trop exclusives ou trop étourdies dans leurs rapports avec l’ordre moral, que sera-ce donc si nous commettons la même faute dans nos rapports avec le monde de la matière, et si nous laissons perdre l’équilibre qui doit régner entre la civilisation matérielle et la civilisation morale !

La décadence romaine présente un exemple éternellement mémorable du châtiment qui attend les peuples envahis et garrottés dans les liens de la civilisation matérielle. L’industrie et le luxe régnaient aussi dans la Rome impériale, et, libres de tout frein, au lieu d’être des instrumens de progrès, ils n’étaient que des instrumens de ruine. Avec la puissance du patriciat s’était évanoui tout ce qui donne à la richesse sa véritable valeur. Au lieu de rehausser l’homme et de briller autour de lui comme signe d’indépendance et de dignité, elle ne fut plus qu’un instrument de plaisir. Ainsi dégradée, comme elle l’est toujours en passant du rang de serviteur et d’humble esclave au rang de maître et de dominateur, la richesse produisit ces vices, escorte naturelle de ce qui est servile et sans noblesse, — la lâcheté, le mensonge, l’insolence et la corruption. N’étant plus la servante de la vertu, elle devait être la reine des crimes : elle le devint. Affranchie de la domination morale, elle créa tout un monde à elle, esclaves affranchis comme elle, courtisanes, bohémiens dorés et financiers imbéciles, le monde de Tacite et de Suétone, les habitués du palais d’Agrippine et de Néron, les convives de Trimalcion. Cependant, au milieu de ces désordres, le vice, enfanté par cette absence de tout contrôle moral sur le monde matériel, conservait encore certaines élégances, certains goûts d’artiste, derniers et faibles reflets de la tradition aristocratique. Les grâces extérieures disparurent bientôt, et le monde de Martial remplaça celui de Pétrone. Alors la société romaine fut infestée de ces cohortes d’aventuriers subalternes que le poète nous présente tour à tour dans les rues de Rome, sous les portiques, dans les bains, chez les courtisanes. Parasites, bouffons, amans gagés des filles venues d’Espagne ou d’Afrique, captateurs de