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ric-Guillaume est prêt à contracter. Dans le fond, il voudrait ne s’engager à rien, et il voudrait qu’on s’engageât envers lui. Son but serait d’écarter tout d’abord des questions fort graves en effet, et qui touchent à certaines nationalités ; il ne tiendrait pas moins à obtenir qu’aucune armée occidentale ne put, en aucun cas, passer en Allemagne. En d’autres termes, il voudrait qu’on s’engageât sur des points qui ne sont point en question, ou sur ce qui serait une garantie en faveur de la Russie. Une des prétentions les plus singulières de la Prusse, c’est de parler sans cesse d’impartialité, de modération, de respect de tous les droits, comme si c’était ici un débat ordinaire, comme s’il y avait des ambitions contraires à concilier, comme s’il ne s’agissait pas tout simplement de sauvegarder le droit et la sécurité de l’Europe. C’est toujours sur ce terrain qu’il faut ramener la question. Les puissances belligérantes individuellement ne demandent rien, elles n’ont laissé éclater aucune ambition ; elles n’ont pris les armes que pour un intérêt général, et dès qu’il s’agit d’un intérêt de cette nature, c’est plus qu’un droit, c’est un devoir de revendiquer toutes les garanties d’une paix solide.

Chose étrange ! après avoir commencé par condamner avec toutes les autres puissances européennes la politique du tsar, le gouvernement prussien en est venu aujourd’hui à défendre la Russie. N’est-ce point l’indice du singulier travail qui s’est opéré à Berlin ? Et à quoi la Prusse aboutit-elle ? À voir tout à coup ses alliances rompues. L’isolement est le dernier mot de sa politique. Aussi n’est-il point surprenant que l’opinion se soit émue en Prusse et qu’elle ait eu un écho dans le parlement. Le cabinet de Berlin avait proposé en effet une loi de crédits militaires. La commission de la seconde chambre, dans ses délibérations intérieures, s’est trouvée saisie d’une proposition qui consistait à soumettre à la chambre une adresse au roi dans un sens favorable à la politique occidentale. Cette motion a été adoptée par la commission prussienne ; mais qu’a-t-on vu alors ? Quand s’est présentée la question même des crédits, la majorité s’est prononcée contre l’autorisation que réclamait le gouvernement d’affecter à l’état militaire du pays une portion de l’emprunt contracté l’an dernier, — de sorte que la commission paraissait tout à la fois conseiller au roi une politique plus décidée et lui refuser les moyens de soutenir cette politique. Cette contradiction plus apparente que réelle a été le résultat d’une alliance fort imprévue, formée au dernier instant entre l’extrême gauche, qui a voté contre le gouvernement, parce qu’elle ne le voyait pas sans doute assez résolu à suivre une marche virile, et l’ex tréme droite, qui a refusé les crédits, parce qu’elle n’était pas probablement assez sûre que le gouvernement en ferait un usage favorable à la Russie. Il reste maintenant à savoir comment cette confusion se dissipera dans la discussion publique, et si le cabinet de Berlin parviendra, ainsi qu’il y a réussi l’an dernier, à obtenir ses crédits en éludant tout engagement. Le fait principal ne demeure pas moins comme l’indice des tendances de l’esprit public, et c’est appuyé sur cet esprit que le gouvernement de la Prusse pourra regagner le terrain qu’il a perdu, en faisant cesser un isolement aussi fatal pour lui-même que pour l’Allemagne et pour l’Europe.

L’opinion, on le voit, tend à se faire jour à Berlin, même quand on décline sa compétence dans les affaires extérieures. En Angleterre, l’opinion est la