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remaniement presque complet du cabinet. Tout dépend aujourd’hui de l’esprit que le ministère renouvelé de lord Palmerston portera au pouvoir et de l’impulsion qu’il saura donner aux affaires publiques. On ne saurait du reste méconnaître ce qu’il y a de critique dans sa situation en face de la phalange compacte des tories et de la fraction peu nombreuse, mais intelligente et nécessairement mécontente, des peelites. Une dissolution du parlement peut devenir aisément le dernier mot de cette confusion des partis, et encore est-il bien sûr qu’une dissolution eût pour effet de ramener au parlement une opinion homogène et puissante, capable d’exercer le gouvernement avec une autorité rajeunie par le suffrage populaire ? Il faudrait cependant y songer. Il s’agit pour les hommes publics de l’Angleterre de quelque chose de plus qu’une émulation vulgaire de pouvoir. Si les ministères se succèdent également impuissans, si les combinaisons qui s’essaient n’aboutissent qu’à des avortemens périodiques, alors l’opinion publique pourra s’irriter de ce spectacle ; elle s’en prendra aux grands noms de la politique et à ceux qui ont reçu la tradition d’une prépondérance héréditaire, comme elle s’en est prise déjà des malheurs de l’armée au caractère aristocratique des institutions militaires, et sous une double forme c’est la constitution même de la Grande-Bretagne qui est en question.

Ce serait assurément un des plus étranges résultats des complications qui sont survenues en Europe. Telle est d’ailleurs la nature de cette crise, qu’elle a son écho dans tous les pays, en vertu de cette loi qui rend solidaires tous les droits, tous les intérêts, toutes les sécurités. Si, pour les grandes puissances particulièrement, elle crée l’obligation d’une initiative plus nette et plus vigoureuse, — pour tous les états, quel que soit leur rang, quelle que soit leur importance, elle pose une question de conduite que le Piémont, pour sa part, a résolue avec une intelligente fermeté, en adhérant à la politique occidentale. Cette question, c’est celle qui s’agite un peu sur tous les points où l’opinion des peuples puise dans quelque analogie de situation le conseil d’une politique semblable. Qui pourrait dire en effet que, le jour où la lutte prendrait de plus grandes proportions, la Suède, le Danemark au nord, d’autres états encore, ne suivront pas l’exemple du Piémont ?

La Belgique, à ce qu’il paraît, s’est émue de ce mouvement qui tend à détacher certains pays de la neutralité, et un député du parlement de Bruxelles, M. Orts, est venu poser au gouvernement toute sorte de questions. La Belgique a-t-elle été invitée à se rattacher, comme l’a fait le Piémont, à la politique des puissances occidentales ? N’a-t-elle point reçu de la Russie des propositions d’un autre genre, qui tendraient à l’affermir dans sa position neutre ? Au cas où des invitations dans l’un ou l’autre de ces sens se seraient produites, qu’aurait répondu le gouvernement ? Ce n’est pas sans un peu de passion assez inopportune que cette courte discussion sur la situation de la Belgique est venue interrompre tout à coup les travaux du parlement de Bruxelles, comme aussi il y a une certaine inconvenance à parler des écrivains français dans les termes dont s’est servi l’interpellateur. Pour tout dire, plus d’une parole a été prononcée, qui n’était guère de nature à servir l’intérêt qu’on défendait, et ce qu’il y a de plus grave, de plus singulier, dirons-nous, c’est que sous ces interpellations se déguisait à peine la