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qui valent peut-être aujourd’hui 100,000 fr, ont été échangées contre quelques florins; d’autres ont été jouées au cabaret ou ont servi, le dimanche, à payer des bouteilles de vin de Champagne. L’association paraît avoir été la forme primitive sous laquelle les charbonnages se sont constitués : cette forme subsiste encore dans quelques endroits; les associés, presque tous ouvriers, se réunissent tous les quinze jours dans une assemblée à laquelle assistent les hommes, les femmes, les enfans, et dans laquelle on fait la répartition des bénéfices; la réunion se termine par un dîner. Aujourd’hui les gros capitaux recherchent l’exploitation de la houille avec autant d’ardeur qu’ils mettaient autrefois de défiance et de timidité à s’engager dans ce placement; leur intervention a été utile, en ce sens qu’ils ont imprimé un mouvement considérable à la production; mais il est vrai de dire qu’ils recueillent largement les fruits de cette activité toute récente. En Belgique, il y a dans ce moment-ci telle exploitation houillère qui réalise 10,000 fr. de bénéfices par jour, et qui servira, sur la fin de l’année, 3 millions de dividendes aux actionnaires. Un seul document statistique suffira d’ailleurs à établir, par des résultats comparatifs, les développemens qu’a reçus dans ces dernières années l’industrie houillère; en 1839, il existait dans la province du Hainaut 297 machines à vapeur exprimant la force de 12,855 chevaux; dans cette même province, à la fin de 1853, on comptait 891 machines exprimant la force de 41,422 chevaux. La quantité de houille extraite était, en 1839, de 2,599,011 tonnes pour la province du Hainaut; elle s’élevait, en 1853, à 5,482,771 tonnes, d’une valeur totale de 47,800,280 fr. Ces chiffres proclament assez haut que l’industrie houillère est dans une grande voie. Ce que nous redoutons pour elle, c’est cette prospérité même. Dans ces derniers temps, les propriétaires de mines ont profité de leur monopole pour élever démesurément le prix du charbon; il en est résulté que plusieurs verreries ont éteint leurs fourneaux. Toutes les industries sont solidaires; les charbonnages ne gagneraient rien à opprimer, sous la loi des tarifs, les travaux et les manufactures qui les font vivre.

Nous serions heureux d’avoir appelé l’attention des moralistes sur une classe ouvrière intéressante par les dangers de mort auxquels elle est exposée, et par les durs travaux manuels auxquels elle se livre dans l’obscurité des mines. La population des charbonnages belges est toute française : elle parle notre langue; elle a pris une part indirecte à nos deux révolutions politiques de 1789 et de 1830; elle gravite vers la France de tout le poids de ses intérêts, de ses relations commerciales et de ses sympathies; à ce titre, comme à beaucoup d’autres égards, elle mérite de compter sur l’alliance de tous les esprits désintéressés qui, au-dessus des limites de nation à