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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1237

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de l’autre côté de l’Atlantique. Les uns reçoivent les cargaisons d’Europe et préparent les cargaisons de retour, les autres les transportent ; achats, ventes, expéditions, tout se fait sans les intermédiaires, les risques, les retards et les faux frais qui pèsent sur leurs concurrens. De là vient l’immense commerce de Gênes avec l’Amérique du Sud. Cette organisation se fortifie en s’étendant ; son activité commence à déborder des états sardes sur les ports étrangers, et si l’isthme de Suez s’ouvrait aujourd’hui, demain les Génois feraient irruption dans les mers de l’Inde.

Venise ne donne plus de semblables marques de vitalité. La découverte du cap de Bonne-Espérance a commencé sa décadence en 1497, et trois siècles plus tard, la politique énervante de ses patriciens l’a jetée impuissante et corrompue sous les pieds de l’étranger. Aujourd’hui, doublement vaincue et découragée, elle pâlit devant Trieste... Nimium vicina Cremonœ ! Rien n’est cependant changé dans les bases immédiates de sa grandeur passée : ses murs sont toujours baignés par l’Adriatique, elle est toujours le seul débouché maritime d’un bassin hydrographique d’une fécondité inouie, qui s’étend des crêtes des Alpes à celles des Apennins et nourrit en-deçà des frontières sardes 7,467,000 habitans. Les chemins de fer, dont l’empereur François-Joseph presse l’exécution avec une énergie dont l’Italie lui tiendra compte, vont accroître dans la vallée du Pô la puissance de rayonnement du port de Venise, et peut-être l’étendre, par le passage du Brenner et la jonction avec la ligne de Kufstein à Munich, à tout le territoire bavarois. Si quelque chose doit rendre à la vie maritime un si bel ensemble, c’est à coup sûr une révolution qui ramènerait le commerce des Indes dans les voies qu’il a quittées depuis le XVe siècle.

Toute la partie germanique de la vallée du Danube, y compris la ville de Laybach, qui n’est pas à plus de vingt lieues de Trieste, et tout le nord de la Hongrie sont alimentés de denrées coloniales par les ports de Rotterdam, d’Amsterdam et surtout de Hambourg. Les approvisionnemens de ces places de commerce proviennent principalement des Indes anglaises et hollandaises. Ainsi, pour arriver à leur destination définitive, ils décrivent, par le cap de Bonne-Espérance et l’atterrage du Brésil, une courbe qui franchit deux fois l’équateur, deux fois l’Atlantique, et les conduit sur les côtes de la Mer du Nord, pour revenir, en traversant l’Europe, dans le voisinage des côtes de l’Adriatique. Il est clair comme le jour que, si le passage de Suez était ouvert et le port de Trieste desservi par des chemins de fer, le grand échiquier sur lequel les ports de la Mer du Nord gagnent contre l’empire d’Autriche une si belle partie serait retourné ; les inconvéniens de la situation se convertiraient en avantages ; la ville