Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

responsabilité, dit-il, ne peut pas retomber seulement sur le pouvoir exécutif, qui ne fait que proposer ce qu’il juge nécessaire à la poursuite de la guerre… Voyons un peu l’état des choses. Vous avez voté, largement et libéralement voté, une augmentation considérable de l’armée, mais vous n’avez pas par cela même obtenu les hommes que vous avez décrétés, car il ne nous en manque pas moins de vingt mille… On nous dit que le pays tout entier est pour la guerre, et on nous dit : pourquoi ne faites-vous pas appel au pays ? Tout cela, ce sont des mots vagues. Certainement il y a beaucoup de propriétaires, beaucoup de négocians qui font des manifestations pour la guerre, qui contribuent aux souscriptions très généreusement ; mais quand vous cherchez des soldats, ils ne sont ni d’âge ni de position à s’enrôler, et en fin de compte tout cet enthousiasme, si beau qu’il soit, ne nous donne pas les vingt mille hommes qui nous manquent. On nous dit : pourquoi donc ne demandez-vous pas plus d’hommes ? Certainement nous aurions fait une très belle figure en venant vous demander cinquante mille hommes. Nous aurions été très applaudis pour notre énergie ; mais venir vous demander encore cinquante mille hommes, quand déjà il nous en manquait vingt mille, eût été simplement absurde. Eh bien ! nous dit-on, abaissez les conditions de taille et d’âge, et augmentez les avantages de l’enrôlement. Nous l’avons fait, et les hommes ne viennent pas… »

On a souvent blâmé la liberté, ou, si l’on veut, la licence de langage des journaux. Nous ferons observer que les journaux du moins n’ont point de caractère officiel, qu’ils ne font qu’exercer la critique, qui est leur métier, et qu’ils ne sont point tenus à la réserve et à la discrétion, qui passent pour l’apanage des hommes d’état. Nous ne croyons pas qu’aucun organe de la presse ait jamais tenu des propos aussi compromettans que ceux que nous venons de reproduire, et qui arrivaient, non-seulement en Angleterre, mais en France, en Allemagne, et surtout en Russie, revêtus de l’autorité du ministre dirigeant de la chambre des communes. Devant ces dures apostrophes, le parlement dut céder, et il vota la loi ; mais il était trop tard. Cette loi fut un avortement ; elle fut pire encore, car elle produisit de mauvais fruits. Elle révéla au monde entier la faiblesse de l’Angleterre, et la révéla sous des couleurs exagérées. En même temps les discussions passionnées qu’elle provoqua dans le parlement, dans la presse, dans les meetings, mirent le peuple anglais en état flagrant d’hostilité avec tous les autres peuples auxquels son gouvernement demandait des soldats. Toutes les insultes de la langue anglaise furent accumulées sur ces étrangers de toute provenance que l’Angleterre voulait prendre à gages, insultes d’autant plus maladroites qu’elles étaient gratuites. Elles furent traduites, reproduites