Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/250

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort imminente. Tel était le métier que faisait Dindigal depuis qu’il avait renoncé à la profession plus calme de pêcheur.

Dès qu’il fut libre, il retourna au jardin du cossever, où régnait, comme la veille, un profond silence. Trop timide pour questionner les voisins, — il n’était hardi et tapageur qu’avec ses compagnons, — le Makoua rencontra par hasard un jeune garçon qui revenait de l’école, portant sous le bras son cahier de feuilles de palmier.

— Le cossever ne demeure plus ici ? demanda-t-il à l’enfant.

— D’où venez-vous donc ? répliqua celui-ci. Vous ne savez pas qu’il est parti ?

— Parti !… s’écria Dindigal.

— Oui, parti pour aller en pèlerinage là où vont les gens de bonne caste. Tenez, savez-vous lire ? — Il écrivit sur la poussière en beaux caractères ornés le nom sacré de Ganga.

— Il reviendra donc ? reprit Dindigal.

— Il reviendra s’il plaît aux dieux : qui sait l’avenir ?

Dindigal laissa s’éloigner le jeune garçon, qui relevait fièrement la tête, tant il était heureux d’avoir montré à un pauvre paria un échantillon de sa science. Quand l’écolier eut disparu au tournant du chemin, le Makoua franchit sans hésiter la haie de l’enclos. La nuit commençait à venir, et les oiseaux chanteurs célébraient par des gazouillemens joyeux la fraîcheur du soir. L’humeur sombre qui tourmentait Dindigal s’évanouissait peu à peu à la sereine et bienfaisante influence d’une calme nature. Sa poitrine se dilatait ; il lui semblait qu’il respirait en ce lieu un air plus pur, et il savait gré à ces gentils volatiles qui, loin de fuir à son approche, continuaient de jaser sous le feuillage tout comme s’il eût été le maître du jardin. Les fleurs exhalaient un parfum plus vif à la tombée du jour ; mais les hautes herbes commençaient à les envahir, à les presser de toutes parts. Dindigal s’était penché vers la terre, vers ces plantes délicates, à demi suffoquées par ce voisinage importun. Aussitôt il se mit en devoir de sarcler le parterre. Durant toute la nuit, il travailla avec ardeur à ce métier de jardinier, qu’il n’avait jamais appris. Des fleurs passant aux plantes potagères, il dégagea les tiges des bananiers enveloppées de lianes, et remua doucement la terre au pied des ananas qui commençaient à montrer leur petite houppe de feuilles vertes et dentelées. Souvent il entendait le chacal glapir dans les champs voisins, mais comme il lui semblait que la voix lugubre de l’animal se faisait toujours entendre du côté droit, le présage n’avait plus rien d’alarmant. Ce qu’il venait de faire un soir par une subite inspiration, Dindigal prit l’habitude de le répéter chaque nuit. Tantôt il cultivait le jardin en bêchant la terre et en soignant les arbres, tantôt il arrosait le sol desséché en y faisant