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impression de l’envoyé russe n’était point, à ce qu’il parait, très favorable à ces ouvertures. Huit jours s’écoulaient à peine cependant, qu’un ordre venu de Pétersbourg autorisait le prince Gortchakof à accepter les conditions des trois puissances. Une réunion nouvelle de la diplomatie avait lieu le 7 de ce mois à Vienne. Le représentant du tsar, après avoir annoncé l’acceptation des quatre garanties par son gouvernement, se disposait à donner lecture d’une pièce écrite ; mais cet acte écrit pouvait entraîner une discussion où les membres de la conférence pouvaient ne point encore se croire officiellement autorisés à entrer, et alors l’un des membres se bornait à reprendre une seconde fois les conditions stipulées, en insistant sur l’interprétation des garanties. À toutes les questions qui lui étaient ainsi posées, le prince Gortchakof a répondu par une adhésion verbale sans réserve. C’est là le fait grave aujourd’hui. Quoi qu’il advienne, il restera comme un hommage volontaire ou involontaire rendu par la Russie à l’ascendant de l’Europe, qui est celui du droit et de la civilisation occidentale, comme un premier témoignage de l’efficacité du traité du 2 décembre. Faut-il néanmoins en conclure que tout est fini, que la paix est sur le point d’être signée ? Ceci est peut-être une autre question : La paix est possible sans doute, elle peut sortir des négociations qui vont probablement être ouvertes, et il n’est personne en Europe qui ne l’appelle de ses vœux ; mais elle n’est que possible. Entre l’acte récent de la politique du tsar et une pacification définitive, il reste, on ne saurait le méconnaître, bien des pas périlleux à franchir, bien des obscurités à éclaircir. Il y a l’intention réelle et secrète qui se cache sous cette acceptation de la Russie dans les circonstances actuelles ; il y a l’appréciation de tous les élémens d’une telle question au point où elle est arrivée ; il y a l’interprétation dernière et effective de ce simple et énigmatique article qui stipule la cessation de la prépondérance russe dans l’Euxin ; il y a bien plus encore, il y a la guerre, qui n’est nullement suspendue, qui se poursuit au contraire sur le sol de la Crimée, et qui peut incessamment déplacer les bases premières des négociations.

Quant à la difficulté qui résulte de l’intention réelle qu’a eue la Russie en acceptant les garanties récemment formulées à Vienne, il n’y a qu’un homme au monde pour la résoudre aujourd’hui : c’est le tsar, c’est l’empereur Nicolas. Nous n’avons écries aucun goût à mettre en doute la sincérité de la politique d’un souverain éminent ; pour tout dire même, l’empereur Nicolas n’est point absolument tenu à nous dire son secret. Ce n’est point de son bon vouloir et de sa sincérité que l’Europe attend la paix, c’est de la puissance de son droit et des forces dont elle dispose. L’empereur Nicolas adhérât-il à toutes les conditions qui lui seront faites, nous resterions convaincus que c’est parce qu’il n’a pas pu faire autrement, et en aucune façon pour complaire aux puissances qui sont en guerre avec lui ; ce ne serait pas même par intérêt pour l’Allemagne et pour lui épargner le désagrément d’une scission intérieure, comme l’a dit assez singulièrement la diplomatie russe. Seulement l’Europe est bien fondée à chercher dans le passé, dans un passé récent, ce qui peut accréditer ou infirmer la valeur de cette tardive et extrême adhésion de la Russie aux conditions du 8 août, plus nettement précisées aujourd’hui. Or que disait M. de Nesselrode, dans sa dépêche du 14-26 août