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principales du problème, et ménageant de précieux fragmens de la vérité à ceux qui entreprennent de la reconstruire tout entière.

Daniel Chamier, ministre du Dauphiné et plus tard professeur à l’Académie de Montauban, fut à la fois l’un des théologiens les plus savans et l’un des négociateurs les plus actifs qu’aient comptés les églises réformées de la France : Bayle s’étonne que son histoire n’ait point été écrite. « Il n’y a que les Français, dit-il, qui soient capables d’une telle négligence. » Saurin, Élie Benoît, Scaliger ont fait son éloge, et d’Aubigné, dans la Confession de Sancy, le range parmi ceux que le roi ne put « ployer à quelques honnêtetés » dignes d’un tout autre nom. Désigné plusieurs fois par le synode de Montauban pour soutenir des controverses publiques, député aux assemblées de Saumur, de Loudun et de Châtellerault, l’un des quatre députés chargés de recevoir l’édit de Nantes, président en 1603 de ce synode de Gap si agité par la question bizarre de savoir si le pape était l’antéchrist prédit dans la parole de Dieu. Daniel Chamier, que se disputaient plusieurs églises, finit par être accordé à l’académie de Montauban. Ce fut sur la brèche ouverte aux remparts de cette ville par le canon de Louis XIII qu’il trouva, le 1er octobre 1621, une mort digne de cette vie de combats et de sacrifices. Son sang coula encore une fois pour sa cause, lorsque l’intendant Lebret fil rouer vif à Montélimart, en 1683, son petit-fils Moïse Chamier, pour avoir assisté à une assemblée protestante. L’édit de Nantes appauvrit la France de cette race courageuse. Inscrivant sur leurs armes cette belle devise : Aperto vicere voto, les Chamier s’établirent en Angleterre. Ils n’y allaient chercher que la liberté religieuse, ils y trouvèrent l’honneur et la fortune. La postérité du ministre de Montauban ne gagna pas seulement à cet exil volontaire l’avantage de vivre à l’abri des lois et au milieu d’un peuple libre, elle se distingua dans le ministère évangélique et dans de hautes fonctions administratives, c’est l’honorable M. Henry Chamier, ancien secrétaire en chef et membre du gouvernement de la présidence de Madras, qui a bien voulu mettre à la disposition de M. Read le récit que son ancêtre avait laissé de son voyage de 1607 à la cour de Henri IV.

Entre tous les documens qui nous instruisent de la politique suivie par Henri IV envers son ancien parti, il n’en est guère de plus caractéristique que ses entretiens jusqu’ici ignorés avec Daniel Chamier. Son désir de paraître aux réformés un sincère et puissant protecteur, afin de les mieux tenir en bride, ses ménagemens envers l’église romaine, sa ferme résolution de la faire respecter et de se faire accepter par l’Europe catholique, défiante à l’égard du nouveau converti ; ses intelligences avec quelques meneurs chargés de paralyser les assemblées protestantes par un zèle joué et par de fausses mesures ; le soin avec lequel il se défend d’acheter les consciences, et la liberté avec laquelle il offre une pension à Chamier, s’il veut être sage et rendre sages les autres ; en un mot ce mélange de menaces, de promesses, d’apparente bonhomie et d’extrême souplesse qui l’avait rendu maître d’une nation divisée et qui l’aidait à la gouverner, n’est nulle part peut-être mieux saisi que dans le récit naïf de cet honnête homme, qui échappe, par sa simplicité même, à ces royales manœuvres, sans blâmer l’habileté de son maître et sans se vanter de sa conscience.