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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/435

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Afin de rendre ses bonnes grâces plus précieuses et ses séductions plus sûres, le roi effraie longtemps Chamier par le bruit de sa disgrâce, tout en différant de lui donner audience, il dit à l’oreille du cardinal Du Perron, mais assez haut pour être entendu de Chamier : « Voilà le plus mauvais de tous les ministres. » Après douze jours d’attente, Chamier est enfin reçu, et commence une justification à laquelle le roi se dérobe, non sans quelques paroles fermes et dures : « Que s’il y avoit un chat à fouetter, il falloit que je le fisse ; que si je continuels, il me feroit chasser de son royaume, non point comme ministre, mais comme François, et qu’il s’estimoit être roy des ministres, des prêtres et des évesques. » Le Bourbon perce déjà sous le Béarnais, Louis XIV sous Henri IV ; il n’entend pas plus être mal obéi d’un côté que de l’autre ; il n’est plus protestant, et il ne veut pas d’ultramontains ; il dit presque : Mes ministres, mes évêques ! – Il se sent roi de France, il veut gouverner en paix son église gallicane.

L’après-dînée de ce même jour, le roi, qui partait pour la chasse, aperçoit le ministre et lui crie : » Monsieur Chamier, le père Cotton vous a reconnu aussitôt qu’il vous a vu, et dit qu’il vous a écrit fort honnêtement. — Oui, sire, aussi ai-je à lui… - Il dit qu’il veut vous accoster quand il vous verra, soyez sage. » Ainsi averti. Chamier rencontre Cotton, « grand théologien, dit l’Estoilc, mais encore plus grand courtisan. » Le curieux dialogue du ministre et du confesseur est la contre-partie de l’audience royale. Le père Cotton est d’une affabilité doucereuse, il discute avec cette politesse excessive que l’Estoile appelle papelarde, c’est bien là l’aimable controversiste qui, à l’étonnement de ses contemporains, disait monsieur Calvin, au lieu de dire tout couramment et comme tout le monde le démon incarné.

Les entrevues de Chamier et de Sully offrent un autre caractère d’intérêt. Quoique, dévoué à la politique du roi, celui-ci conseillât, à Chamier « de ne point se roidir contre lui, et de confesser plutôt l’avoir offensé, encore qu’il n’en fut rien, » quoiqu’il répétât « qu’aux assemblées on se conduisoit mal, prenant le roi à contre-poil, et se raidissant sur des choses qui dépendoient purement de sa majesté, » Sully ne voulait ni abjurer, ni laisser espérer au roi son abjuration. Il se fâchait qu’on en parlât, comme pour tâter sur ce sujet l’opinion publique. « Il sçavoit bien le bruit qui couroit et ce qu’on disoit de quelques emplois et mariages, mais cela ne l’ébranleroit point ; en somme, si on ne lui faisoit voir une Bible nouvelle et un Testament nouveau dont jamais on n’eut ouï parler, il ne changerait point sa profession. » Il tint parole jusqu’au bout, bien que le roi ne se laissât point facilement décourager, bien que l’épée de connétable et le mariage de son fils aîné, le marquis de Rosny, avec Mlle de Vendôme, lui fussent offerts en échange de ce qu’on lui présentait comme une simple marque de complaisance, il ne suivit point en cela la maxime de son maître, et ne trouva pas que ces avantages valussent une messe ; l’histoire lui doit ce témoignage.

De nouvelles accusations, un nouveau mécontentement réel ou simulé du roi, un second entretien où Henri IV accuse les réformés de « vouloir en faire autant que ceux de Hollande, » une intéressante conversation avec le maréchal de Bouillon sur l’état général de l’Europe, remplissent alors les journées de Chamier. Nous glissons sur cette partie de son mémoire et sur