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Les animaux de l’Asie sont en général bien supérieurs à ceux de l’Europe, et chaque canton se vante de posséder le type le plus parfait d’une espèce quelconque. Si Angora a ses chèvres et ses chats, les Turcomans qui peuplent les vastes déserts de la Cappadoce ont leurs moutons à large queue, leurs lévriers à oreilles tombantes et frisées comme les king Charles anglais, leurs chevaux plus grands et plus robustes que les chevaux arabes. Les moutons turcomans, que l’on retrouve aussi chez les Kurdes, sont de formes infiniment plus gracieuses que les nôtres ; ils ont le cou long, le museau effilé, de longues oreilles qui descendent parallèlement au museau et en accompagnent le contour, comme les boucles à l’anglaise accompagnent le visage d’une jeune fille. Le trait principal de ces animaux est une queue tellement remplie de graisse, qu’elle pèse quelquefois jusqu’à douze ou quinze ocques (mesure turque équivalant à environ quarante-quatre onces). Ce poids, qui oscille en dehors de leur centre de gravité, gêne considérablement l’animal, qui est parfois dans l’impossibilité absolue de traîner sa queue, et qu’on soulage en l’attelant à de petites charrettes destinées à supporter l’incommode appendice.

Pendant que les femmes des derviches d’Angora me vantaient les races privilégiées de leur province, je ne pouvais m’empêcher d’exprimer à un autre point de vue mon admiration pour les nobles animaux de ces contrées. Ce qui m’avait surtout frappé, c’était leur extrême douceur, leur mansuétude singulière. Le buffle, qui passe partout ailleurs pour une bête sauvage presque entièrement rebelle à toute tentative faite pour l’apprivoiser, n’est pas ici plus farouche qu’un bœuf. Les chakals, dont ces vallées et ces forêts sont remplies, se contentent de pousser des hurlemens de damnés et de venir vous voler soit du beurre frais, soit du lait dans votre tente, si vous en avez une. Le cheval, si fier, si indomptable chez nous, ne connaît ni la révolte, ni la colère, ni l’entêtement. Il y a plus : les animaux que l’on appelle féroces participent aussi de cette débonnaireté universelle. Les montagnes sont habitées par des panthères et des léopards ; mais il n’y a pas d’exemple que ces animaux aient attaqué de paisibles voyageurs, ni même des chasseurs. Le sanglier non plus ne fait la guerre qu’aux jardins et aux champs de riz. Cela tient, pour quelques animaux, à la conduite que l’on s’impose envers eux. Jamais un Turc ni même un Arabe ne maltraitera un cheval, fût-ce pour le corriger. Il lui parle, il tâche de le ramener aux sentimens du devoir, et s’il échoue, il se résigne : Allah kerim ! Je me souviens d’avoir fort scandalisé mon escorte musulmane un jour que, mon beau cheval ayant imaginé de se coucher tout de son long dans une rivière que nous traversions à gué, je me permis, au sortir de mon bain improvisé, de lui donner une salutaire correction. « Oh ! ne le frappez