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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/544

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mais parce qu’il faut pour réussir et persévérer dans cette voie un fonds de passion ardente ou d’exaltation factice peu conciliable avec cette observation pénétrante qui ne se laisse longtemps abuser ni sur les mots, ni sur les choses, ni sur les caractères, ni sur les partis. L’homme qui devait, quelques années après, dessiner d’un crayon si fin et si vrai les femmes chevaleresques, les tribuns austères, les Philamintes politiques de l’Anneau d’argent, du Pied d’argile, d'un Homme sérieux, des Ailes d’Icare ne pouvait avoir un penchant bien vif ni bien obstiné pour ce travail de journaliste qui condamne trop souvent à subir l’opinion des autres, sous prétexte de la former. Un heureux hasard vint lui indiquer ou lui faire pressentir sa vocation véritable. En 1831, M. de Balzac publia la Peau de Chagrin. Jusque-là, malgré le Dernier Chouan et les premières Scènes de la Vie privée, le réputation de M. de Balzac était fort problématique ; l’on ne pouvait prévoir que bien confusément la transformation laborieuse qui se préparait dans cet étrange cerveau, et qui allait faire de l’auteur de Jane la Pâle et du Vicaire des Ardennes l’auteur d’Eugénie Grandet et de Balthazar Claës. C’est par la Peau de Chagrin qu’il abordait décidément cette nouvelle veine où il devait trouver de précieux filons, beaucoup d’alliage, une gloire peut-être trop contestée de son vivant, trop exagérée après sa mort. Il y eut autour de cet ouvrage, longtemps annoncé et prôné d’avance, un des premiers coups d’essai de ce charlatanisme littéraire qui en était alors à ses débuts, et qui depuis nous en a fait voir bien d’autres. Ceux qui s’amusent aux menus détails de la littérature anecdotière peuvent se souvenir encore de cette épigraphe cabalistique empruntée à Tristram Shandy, et qui bigarra, un mois durant, la quatrième page des journaux. M. de Balzac, comme tout auteur qui franchit un pas décisif, fut tout ce qui fut écrit sur son livre, et un article publié dans la Gazette de Franche-Comté attira particulièrement son attention : cet article était de M. Charles de Bernard. M. de Balzac lui écrivit, et ce fut là le point de départ d’une correspondance, et, plus tard, d’une amitié où les sympathies personnelles tinrent autant de place que l’imitation ou même que l’analogie du talent : imitation et analogie passagères, partielles, discutables, assez visibles cependant pour qu’on ne puisse dès l’abord méconnaître l’influence de Balzac, sinon sur les livres mêmes, au moins sur l’ensemble des idées, du talent, dus tendances et des procédés littéraires de Charles de Bernard.

Il vint à Paris pendant l’hiver de 1832 : il se lia avec Nodier, autre Franc-Comtois, autour duquel aimait à se grouper la nouvelle école, et dont la vieillesse spirituelle et fantasque, souriant à la jeune littérature et payée par elle en hommages hyperboliques, faisait