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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/575

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modeste, il est prudent de ne pas congédier tous les chiens de garde.

C’est ce qui explique aussi pourquoi, aussitôt que l’empereur se fut éloigné de nos côtes, un si vif, un si universel désir de garanties politiques se manifesta d’un bout à l’autre de la France. Il semble à certains théoriciens du pouvoir absolu que Louis XVIII, en donnant la charte, se passa une fantaisie d’anglomane parfaitement gratuite, qu’il défendit ensuite par vanité d’auteur. Combien de fois n’avons-nous pas entendu dire, surtout dans ces derniers temps, que la restauration ne serait jamais tombée sans ses velléités constitutionnelles, et si elle avait eu le bon sens de se coucher, comme on l’a dit, dans le lit de l’empire ! M. de Carné ne partage pas et ne laisse pas à ses lecteurs de telles illusions. Nulle part nous n’avons vu mieux dépeints le désir, disons mieux, l’impérieuse passion de libertés et d’institutions politiques qui s’empara de la France à la fin de l’empire. Malgré la malheureuse et trop célèbre forme de l’octroi royal, la charte ne fut rien moins que donnée par Louis XVIII. Elle n’était pas seulement réclamée, comme on le prétend, par un petit nombre d’esprits élevés et d’hommes éloquens, amoureux des discussions de tribune ; c’était la masse générale des intérêts civils du pays, instruite par une terrible expérience, qui réclamait le droit et le moyen de se défendre contre le pouvoir absolu. Le commerce fatigué de rencontrer partout la barrière d’inimitiés qui environnait la France, les mères lassées de mettre des fils au monde pour les voir enlevés à seize ans du toit domestique et livrés en proie au canon, les gens échappés des champs de bataille, revenus des extrémités de l’Europe, qui ne se souciaient pas d’y retourner, la propriété accablée par les décimes de guerre et les impôts extraordinaires, toutes ces voix, s’élevant de la chaumière, du comptoir et du château, demandaient à trouver dans de véritables corps politiques des organes indépendans de leurs désirs légitimes. Pour la première fois dans notre histoire le pouvoir royal se mit à l’œuvre pour donner à la France les institutions qui lui avaient toujours manqué. Louis XVIII gardera l’honneur d’avoir seul, parmi tous nos souverains, entrepris cette tâche de législateur politique avec une grande sincérité et un suffisant degré d’habileté et de prudence. La charte ne fut pas seulement un des nombreux incidens de notre révolution, si abondante en tableaux divers. Elle fut et elle demeure à peu près l’unique tentative sérieuse qui ait été faite dans l’histoire de France pour constituer politiquement notre patrie. Les trente années qu’elle a duré sont les seules pendant lesquelles les rapports des sujets et des souverains aient été fondés sur une règle fixe et où