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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/677

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Quand je considère cette plate-forme du Palatin dont on peut faire le tour en une demi-heure, et dont un jardin de médiocre grandeur occupe une grande partie, et quand je songe que Rome a tenu dans cet étroit espace, je ne puis m’empêcher de me demander pourquoi ce point plutôt qu’un autre est devenu le centre du monde. Où est la cause de cette incroyable fortune ? quel avantage avait cette poignée de gens sans aveu sur le reste du genre humain ? Ce n’était pas une supériorité de race. Ils appartenaient à la même race que les autres populations du Latium et des montagnes, les noms propres et le peu de mots que l’histoire a conservés de la langue des Albains, des Sabins, des Volsques, le prouvent suffisamment. Ce n’était pas que leur situation fût meilleure que celle de leurs voisins, elle était très semblable, et la campagne romaine est remplie de petites hauteurs toutes pareilles au Palatin. Il y a plus, cette situation était pleine de périls : la nouvelle ville qui venait de se fonder, oserai-je dire le repaire qui venait de s’ouvrir, n’était séparée que par un fleuve, qui n’est qu’un large torrent, d’un grand peuple civilisé et guerrier, les Étrusques, car l’Étrurie venait jusqu’au Tibre. Du temps d’Horace, la rive droite de ce fleuve s’appelait la rive étrusque, et plus tard Stace la nommait encore la rive lydienne, par la raison que les Étrusques passaient pour être venus de Lydie. Ils avaient même franchi le fleuve, et Fidènes leur appartenait. Ils avaient probablement fondé ou conquis Tusculum, le nom de cette ville l’indique[1], et peut-être s’étaient-ils avancés jusqu’à Ardée, comme paraissent le prouver des tombeaux qu’on y a récemment découverts. C’était une redoutable voisine que la puissante Étrurie.

A cinq ou six lieues, du côté de l’est et du sud, les Romains étaient cernés par des montagnes qu’habitaient des peuples rudes et belliqueux, les Æques, les Herniques, les Volsques : ceux-ci s’étendaient jusqu’à la mer. Plus près se pressaient Cécina, Gabie, Crustumerium, et beaucoup d’autres villes dont l’emplacement est connu. Une demi-lieue séparait Rome d’Antemne, qui dominait la plaine d’Aqua-Acetosa, en ce moment champ de manœuvre de la division française. Plus près encore s’élevaient les collines qui touchaient presque la cité naissante, qui pouvaient être occupées, et dont quelques-unes le furent en effet par des ennemis. Les Sabins étaient au Quirinal[2]. On ne saurait être plus menacé, plus exposé à périr : cependant

  1. Selon Tite-Live, Tarquin, banni de Rome, alla s’y établir auprès de Manilius Octavius, son gendre. Faux ou vrai, ce fait semble montrer qu’on croyait à un rapport entre l’Étrurie et Tusculum. Les rapports des Étrusques avec Gabie sont aussi très vraisemblables.
  2. On pourrait croire que les Sabins n’y vinrent que plus tard, quand, à la suite de l’enlèvement de leurs filles, ils firent la guerre aux Romains; mais le récit, fondé ou non, de cet enlèvement même porte à penser qu’ils y étaient déjà établis quand il eut lieu. Pourquoi aurait-on supposé qu’eux en particulier seraient venus de leurs montagnes de Rieti voir célébrer les jeux de Romulus au moment où il venait de fonder son humble bourgade ? La tradition qui les fait assister à ces jeux semble admettre qu’ils étaient tout proche, comme les autres petits peuples de Cécina, de Crustumerium, d’Antemne, qui y assistaient avec eux. Cette tradition s’explique très bien en les supposant dès lors établis sur le Quirinal et voisins immédiats des Romains.