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Rome ne périt point, elle fut sauvée comme miraculeusement pour accomplir les desseins de la Providence sur le genre humain.

Dans une forêt de chênes, vingt glands tombent sur le sol et vingt pousses s’élèvent pressées; dix-neuf périssent, une survit, voilà l’histoire de la destinée des peuples. Pourquoi de toutes ces petites villes, campées chacune sur son éminence comme l’était Rome sur le Palatin, fut-ce Rome qui survécut ? Pourquoi l’arbre que Romulus avait planté étouffa-t-il successivement toutes les autres pousses, en apparence aussi vigoureuses, sous son ombrage, qui devait couvrir l’univers ? L’histoire ne le sait pas, c’est le secret de Dieu.

Cela veut dire que nous ignorons les causes qui agirent alors, et qu’on n’a pas encore su découvrir. Hegel affirme que les Romains durent leur puissante organisation à ce qu’ils furent d’abord une société de brigands. J’en demande pardon à ce puissant esprit; mais c’est pousser un peu loin la méthode de philosophie historique au moyen de laquelle on voit toujours dans un fait qui précède la cause nécessaire d’un fait qui suit. Ce que Hegel expliquait par les antécédens peu honorables du peuple romain, M. Mommsen l’explique par la situation géographique de Rome. Selon lui, Rome aurait dû sa supériorité à sa position sur le Tibre, non loin de l’embouchure du fleuve, aux confins du pays latin et du pays étrusque, position qui faisait de la ville un marché naturel pour le commerce des deux peuples. A l’appui de sa thèse très nouvelle, le savant épigraphiste fait observer que sur d’anciennes monnaies romaines est la figure d’un vaisseau, et que, dès les premières années de la république, Rome fait un traité de commerce avec Carthage. Quand on accepterait cette opinion hardie, qui place sous une influence commerciale les commencemens de la belliqueuse ville de Rome, Rome, tout le prouve, n’en resterait pas moins par son fond et son origine essentiellement agricole et guerrière. Je reviendrai sur cette vue originale de M. Mommsen. Je l’indique dès à présent, parce qu’elle se rapporte à ce qui m’occupe en ce moment, l’importance de la position topographique de Rome pour expliquer, s’il est possible, le mystère de ses destinées.

La proximité du peuple étrusque se fit d’abord sentir aux Romains, sinon par la conquête, du moins par une influence bien