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bien autrement compliquée qu’elle ne paraissait. Un muscle, quel qu’il soit, présente non-seulement la libre musculaire qui est tout ce qu’on croit d’abord y trouver, mais un tissu cellulaire, des artères, des veines et des nerfs. De la sorte, par une illusion qui est si fréquente dans l’étude de la nature, le corps, qui était le composé naturel, n’était pas le composé scientifique, celui qui pouvait fournir l’abstraction, la généralité. La Fontaine a dit :

Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse,
La raison décide en maîtresse ;
Mes yeux, moyennant ce secours,
Ne me trompent jamais en me mentant toujours.


C’est à faire que ce mensonge perpétuel nous trompe de moins en moins que la science travaille.

Quand en effet il est devenu visible que le composé naturel ne fournit pas des généralités ou n’en fournit que de fictives, et qui, sans aucune valeur pour la biologie même, n’en ont une certaine qu’à titre d’exercice pour l’esprit humain, c’est l’étude des particularités qui prévaut. Ces particularités n’ont qu’un mérite, c’est d’être réelles ; à part cela, elles ne donnent aucune doctrine qui éclaire et guide dans les ténèbres. Il est vrai qu’il n’en faut point faire fi, car il viendra un temps où elles prendront corps et vie et entreront, comme autant de particules nécessaires, dans le système : mais, avant ce moment-là, on conçoit fort bien comment des esprits avides de savoir et impatiens du temps et des obstacles ont pu les prendre en dédain et les frapper d’anathème. Tel fut le cas de Platon : il avait un mépris infini pour tout ce qui portait, le caractère du fait particulier, et, comme il disait, de l’empirisme. Il est vrai qu’alors l’empirisme était bien humble, n’ayant fourni de solides déductions qu’en géométrie et en astronomie. Aussi était-ce la période où les conceptions métaphysiques (j’entends par métaphysiques celles qui sont abstraites sans s’appuyer sur la réalité) avaient le plus ample domaine et la fortune la plus haute.

Il n’est pas hors de propos de donner un échantillon des conceptions générales qui se formaient sur ce sujet alors qu’elles étaient impossibles, dans l’antiquité, par exemple, où l’on était le plus loin du terme. Il y a dans la collection hippocratique un livre intitulé Des Chairs qui contient une tentative de ce genre. L’auteur, qui n’est pas Hippocrate, mais qui n’en appartient pas moins à une époque très reculée, essaie d’expliquer la formation des organes : « Ce que nous appelons le chaud, dit-il, est, à mon avis, immortel, a l’intelligence de tout, voit, entend, connaît tout, le présent comme