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grande confiance; il résolut d’aller trouver lui-même l’impératrice, afin de dissiper les périls, si l’avenir en recelait encore, en marchant à leur rencontre. La cour de France se montra contraire à ce voyage : c’était à ses yeux une imprudence qui pouvait compromettre Gustave, l’attacher peut-être au char de l’adroite et orgueilleuse Catherine, ou le faire tomber dans quelque engagement périlleux. Gustave n’admit pas ces craintes; il compta que ses grâces toutes françaises et son intelligence déliée séduiraient et envelopperaient l’impératrice. C’était une illusion : Catherine et Gustave III étaient tous les deux trop fiers pour que la confiance pût facilement s’élever entre eux. L’un et l’autre avaient la vanité de vouloir jouer le premier rôle dans la carrière où ils devaient se rencontrer : Catherine voulait être la seconde Sémiramis du Nord en effaçant la première; Gustave III prétendait rendre à la Suède tout l’éclat dont les Vasa l’avaient autrefois couverte. Les premières entrevues, froides et réservées, prouvèrent qu’entre l’habile et rusée Catherine et le jeune Gustave III la lutte n’était pas égale. Gustave ne voulut pas, pour atteindre jusqu’à l’impératrice, s’abaisser à flatter les faiblesses de la femme, sur laquelle Frédéric II, au contraire, avait exercé par ses flatteries un si grand ascendant, et Catherine se trouva d’ailleurs assez fine politique pour pénétrer les prétentions du roi de Suède, qu’elle traita avec dédain.

Gustave III put s’apercevoir, au retour de ce malencontreux voyage, que le cabinet de Versailles lui avait seul donné de bons avis, et que la double ligue de la Russie avec la noblesse de Stockholm et avec la Prusse, entièrement intacte encore, préparait à la Suède de nouveaux sujets d’alarmes. Catherine était, à la vérité, fort occupée des affaires de Turquie et de Pologne : aussi ne déclarait-elle pas à Gustave une guerre ouverte; mais elle ne voulait pas négliger pour cela de creuser des abîmes sous son trône, après l’avoir endormi par de fausses promesses. Les papiers de Gustave III, qu’on a conservés à la bibliothèque d’Upsal, et qui renferment tant de lettres confidentielles, tant de documens curieux et tout à fait inédits, témoignent que Gustave supportait impatiemment la situation que lui avait faite la Russie. On trouve dans sa correspondance une lettre dans laquelle le comte de Provence (Louis XVIII) se fait naïvement l’écho des plaintes que Gustave III avait sans doute plus d’une fois exprimées. « On m’avait dit, il y a quelque temps, une nouvelle qui m’avait fait grand plaisir pour vous, mon cher ami, et dont par conséquent j’ai appris la fausseté avec un véritable chagrin : on disait que l’impératrice de Russie avait eu une attaque d’apoplexie. Si cela était, je vous assure que je serais délivré d’un furieux poids, car je crains toujours qu’elle ne vous tombe sur le