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corps[1]... » Plus tard, Gustave lui-même écrit à Louis XVI, en parlant de l’ambassadeur russe à Stockholm : « La réputation qui a précédé ici M. de Markof l’a perdu dans l’esprit du public, et surtout dans celui des femmes. Elles sont aussi indépendantes ici qu’à Paris, et tout mon pouvoir ne s’étend pas à les obliger à faire des politesses à M. de Markof. Cela servira du moins à apprendre aux ministres de Russie que les manières asiatiques ne leur réussissent pas partout... »

Les premiers résultats des perfides menées de la Russie furent la formation d’une opposition formidable en Suède, grâce à la corruption d’une grande partie de la chambre des nobles, et un plan de révolte ourdi en Finlande. De ces deux stratagèmes, l’un devait causer plus tard la mort violente de Gustave III, l’autre était destiné à préparer sur de nouvelles bases le démembrement dont ce roi avait une fois déjà détourné le péril.

La conquête de la Finlande, tel était l’objet des vœux ardens de la Russie. Plus d’une fois déjà cette puissance avait dressé avec la Prusse des plans de toute sorte en vue de ce projet favori, ébauché seulement après le traité de 1743. L’essai de démembrement de la Suède ayant échoué, grâce à la révolution de 1772 et à l’intervention de la France, Frédéric II avait songé à proposer aux cabinets de l’Europe un remaniement du Nord, attribuant la Poméranie à la Prusse, la Norvège à la Suède et la Finlande à la Russie. Il est curieux de voir avec quelle sévérité le comte de Creutz, alors ministre de Suède à Paris, fort habile et fort dévoué à son pays, juge dans sa correspondance diplomatique une telle combinaison, rêvée alors par un ennemi déclaré de la Suède, accomplie de nos jours (singulière vicissitude de l’histoire!) avec l’assentiment et par la volonté même de la France. Frédéric n’avait fait que traduire, pour ce qui concernait la Russie, le vœu le plus cher de Catherine, tandis que celle-ci ne négligeait rien pour arriver à son but. Comptant moins sur l’habileté de la diplomatie que sur la vénalité des consciences, l’impératrice avait commencé dès lors à ourdir ces trames dorées où tombèrent, à leur honte et pour le malheur de la Suède, plusieurs de ses généraux, hommes de talent et de courage, tels que Sprengtporten, Ehrenström, Palmfeldt, et d’autres encore.

Le baron George-Magnus Sprengtporten, chef de la brigade de Savolax en Finlande, était richement doué de la nature; esprit délié, actif et plein de ressources, mais sceptique sur l’emploi des moyens, il était capable du crime comme de la vertu. Il avait trouvé dans son cœur un égal écho pour les plus généreuses d’entre les idées de la révolution française et pour les exagérations ou les erreurs qui s’y

  1. Lettre du 29 mars 1777.