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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/795

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pouvait arrêter longtemps l’ennemi. L’armée avait en même temps reçu l’ordre d’opérer sa retraite vers la côte occidentale dans le meilleur ordre possible, sans tenter une lutte qui semblait impossible en hiver, au moins jusqu’à ce que la glace du golfe de Botnie fût assez forte pour laisser passer les munitions et les approvisionnemens de la Suède. Les officiers suédois durent se retirer pas à pas, en se contentant de faire respecter leur retraite.

Entrés en Finlande le 8 février, les Russes étaient maîtres d’Helsingfors le 20 et de Tavastehus le 25. Les forteresses mêmes ne résistèrent pas : Svartholm se rendit le 5 mars, après cinq ou six jours de canonnade, et peut-être faute de provisions; Svéaborg céda après un blocus de deux mois. Ce dernier échec était surtout décisif contre la cause des Suédois en Finlande, car Svéaborg était la clé de cette province, comme elle était le chef-d’œuvre de leurs ingénieurs. Cette forteresse est assise, comme on sait, sur cinq écueils qui ferment au sud-ouest l’entrée du port d’Helsingfors. De formidables ouvrages en granit surmontaient dès cette époque ces roches massives et en faisaient déjà une place du premier ordre. Le maréchal Ehrensvärd l’avait fondée, et son tombeau s’élevait dans l’île de Wargön; les ingénieurs suédois Chapman et Tunberg en avaient construit les docks et les bassins spacieux. Svéaborg avait coûté des sommes immenses à la Suède, et c’était l’œuvre de plus d’un demi-siècle. Le comte amiral Cronstedt, chargé de la défendre, avait une garnison de sept mille six cents hommes, cinquante-huit pièces de canon en bronze, mille neuf cent soixante-quinze en fer, trois cent quarante mille projectiles, un magasin considérable de vivres. L’armée assiégeante fut souvent moins nombreuse que la garnison; elle dut amènera grand’peine, à travers un pays soumis de la veille, sa grosse artillerie, qu’elle assit difficilement sur des rocs sans terre ni gazon et couverts de neige, et qui n’excéda jamais le nombre de quarante-six bouches à feu. En dix jours, elle lança quinze cent soixante-cinq projectiles auxquels la forteresse répondit par deux mille quatre cent soixante-dix-sept coups. Il semblait qu’on pût compter à Stockholm sur une résistance énergique. Il n’en fut rien, et la mauvaise direction de la défense, préoccupée à l’excès de repousser les fausses attaques, trop alarmée aussi de quelques lacunes dans la liaison des ouvrages, laissa comprendre aux officiers russes[1] que l’amiral Cronstedt, accoutumé à voir en marin, considérait Svéaborg comme un vaisseau que les glaces allaient exposer à l’abordage. La citadelle, en certains endroits inachevée, disposée entièrement

  1. C’est ce que rapporte dans ses mémoires le général Suchtelen, chef des travaux du génie dans l’armée assaillante.