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quant à son antiquité, on a prétendu que ce diamant avait été porté par Karna, roi d’Anga, trois mille et un ans avant notre ère. Notez ce chiffre précis, 3001 ans ! A cela je n’ai rien à objecter; je me porte même garant de cette curieuse assertion, car qui me démentira dans ce témoignage ?

On en peut dire autant de toutes les propriétés merveilleuses des pierres gemmes que l’antiquité et le moyen âge ont admises sans hésiter, comme ils admettaient les influences des planètes, des comètes et des aspects célestes. Pour toutes les cures de maladies nerveuses et morales où l’imagination peut avoir une grande influence, les gemmes étaient certes un remède souverain. En disant à un malade qu’une émeraude placée sous le chevet de son lit devait le guérir de l’hypocondrie, éloigner le cauchemar, calmer les palpitations du cœur, égayer l’imagination, apporter la réussite dans les entreprises, dissiper les peines de l’âme, on était sûr du succès par la croyance seule du malade à l’efficacité du remède. L’espérance de la cure dans ces affections est la cure elle-même, et dans toutes les nombreuses circonstances où le moral a de l’influence sur le physique, la cause imaginaire devait produire un effet très réel. Enfin cette éternelle déception de l’esprit humain, qui n’enregistre que les guérisons et qui ne met pas en ligne de compte tous les cas où les moyens curatifs ont manqué le but, contribuait à maintenir la croyance aux vertus occultes des pierres précieuses. Il n’y a pas un demi-siècle que l’on envoyait encore emprunter dans les familles riches des pierres montées en anneaux pour les appliquer sur les parties malades. Quand le bijou devait être introduit dans la bouche pour cause de mal de dents, de mal de gorge ou de mal d’oreille, on avait soin de le retenir par une ficelle assez forte pour éviter qu’il ne fût avalé par le malade.

Il est inutile de dire qu’aujourd’hui, si l’on demande ce que sont devenues toutes ces croyances incontestables pour nos pères, on répondra qu’elles sont allées avec les influences lunaires, si puissantes au temps de Louis XIV, prendre place dans le magasin immense des erreurs de l’esprit humain : vieille friperie qui n’est pas encore tellement usée, que de temps en temps on n’en retire quelque chapeau ou table tournante, quelque miracle ridicule, ou même telle autre chose actuelle que le lecteur voudra bien nommer. Ce qu’il y a de curieux, c’est de voir, sous l’étendard du scepticisme, plus d’un écrivain qui, suivant le conseil de Voltaire,

Crie à l’impie, à l’athée, au déiste,
Au géomètre !


anathème que ne lancent plus depuis longtemps les auteurs disant la messe !